"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après Lire Lolita à Téhéran, Azar Nafisi fait le choix d'une forme éminemment personnelle : Lire dangereusement se compose de cinq lettres adressées à son défunt père - ancien maire de Téhéran emprisonné par le régime du Shah d'Iran - comme pour reprendre un dialogue interrompu.
À la lumière de grandes figures de la littérature, hors des sentiers battus, de Salman Rushdie à Margaret Atwood, en passant par Zora Neale Hurston, Toni Morrison ou James Baldwin, Azar Nafisi explore la fiction comme arme de résistance : lutter contre la pensée unique, s'ouvrir à une pluralité de voix pour mieux connaître l'autre - y compris son ennemi. Ou comment se mettre en danger, permettre le questionnement et la contradiction, « voir le monde à travers les yeux d'autrui et chercher à comprendre des expériences qui ne sont pas les nôtres », à l'heure où l'om- niprésence de la réalité virtuelle nous déshumanise - et nous trompe. Le fléau de la pensée unique est typique des régimes totalitaires : Azar Nafisi dresse un saisissant parallèle entre les méthodes de la République islamique qu'elle a connues en Iran et la situation politique et intellectuelle des États-Unis sous l'ère Trump, où le mensonge s'érige en vérité unique...
Dans Fahrenheit 451 les exilés risquaient leur vie pour sauver la littérature en apprenant par coeur les livres qui les ont marqués... Azar Nafisi nous invite elle aussi à la contestation, à « lire dangereusement ». Une ode à la littérature, à la pensée et à la résistance, qui s'achève sur un appel : « Lecteurs du monde, unissez-vous ! »
Lire dangereusement aurait aussi bien pu se nommer Lettres à Baba jan (équivalent de cher papa en persan), Azar Nafisi avait l’habitude d’échanger des lettres avec son père dans les périodes où ils ont été séparés. Elle reprend cette correspondance en 2016, alors que celui-ci est mort douze ans auparavant. Les cinq lettres publiées ici ont été écrites aux États-Unis en pleine crise du Covid, en 2019 et 2020. Ce père aimé n’est pas n’importe qui : il était iranien, maire de Téhéran, jeté en prison en 1963, pendant 4 ans, par le régime du Shah pour refus d’obéir. On découvre un homme intègre, adepte de la liberté, des droits de chacun, d’un courage impressionnant... Le ton de l’autrice est celui de la méditation, de la confidence sur sa vie actuelle, de la communication sur les changements politiques et sociaux aux États-Unis et en Iran. Double récits de vies singulières. J’ai adoré le beau passage où elle présente, de façon très sérieuse et protocolaire, James Baldwin à son père et son père à James Baldwin. Elle parvient, à travers la littérature, à recoudre ce que la mort a rompu dans le tissu déchiré du temps. Elle lui dit ce qu’il aurait sans doute aimé de la vie actuelle et ce qu’il n’aurait pas aimé, utilisant des formules surprenantes « Tu aimerais sans doute savoir comment cette histoire se termine et s’il reste un peu d’espoir pour une société comme celle que décrit Bradbury. »
La littérature, la fiction ont une capacité de résistance contre l’absolutisme. c’est ce qu’elle a retenu de son expérience et de celle de son père, ce Baba jan qui avait écrit, alors qu’il était en prison, une longue lettre adressée au président Lyndon Jonhson (intégrée en fin de volume). Elle poursuit cette quête obstinée de justice y compris après la mort, persuadée que seule l’indifférence et l’oubli absolus signent une défaite irrémédiable. Elle est très claire quant au besoin de récits pluriels et revendique la nécessité d’une « démocratie de perspectives diverses », dénonçant la violence d’une communication non pas en incluant mais en éliminant. Ses références premières vont à Gandhi, M.L. King et à Montaigne. Chaque lettre adressée à Baba jan commente des auteurs qui alimentent sa réflexion (Rushdie, Platon, Bradbury, Morrison, Atwood…). Azar Nafisi possède une écriture douce et musicale, la lecture en devient addictive et à travers les autrices et auteurs cités c’est de nos vies à tous dont il est question.
Gérer les sentiments de frustrations et de colère face à l’absolutisme constitue une bonne partie de cet échange épistolaire. Elle dit avec force qu’il ne faut pas se retirer du monde et de la compagnie des autres, qu’il faut rester créatifs, ce qui est une force face à l’absolutisme ayant peur de la créativité. Nous ne devons pas être aveugles à tout ce qui se passe ces temps-ci. Ces injonctions semblent aussi pour elle-même, en proie à l’angoisse, souvent déprimée. Apprendre à contrôler les peurs et à bien résister ; Ne pas se résigner ; Trouver les moyens de les embobiner ; Devenir maître de son propre récit... Elle se demande quel rôle ont des gens ordinaires dans l’avènement d’un état totalitaire ? L’action fait alors place au doute « La tragédie, c’est que nous vivons dans cette absurdité et qu’étrangement nous la tolérons. »
Sauvegarder la démocratie est une vraie question. Elle avance à tâtons dans ses lettres, interrogeant son père : « Peut-être que pour nous, l’idée même de changement est dangereuse, et ce que nous voulons éviter, c’est lire dangereusement ». Cela me semble bien vu, à la fois demandé et imposé par des rouages bien entretenus par la société et cette peur de basculer dans l’inconnu amenant à croire à tous les mensonges. Publié en langue originale en 2022, elle écrit alors « Nous vivons dans une ère post-Trump, mais Trump restera avec nous pendant longtemps encore... ». Cette traduction est publiée au moment du retour de Trump au pouvoir, dans des conditions bien différentes du premier mandat puisqu’il a obtenu les pleins pouvoirs (chambre des représentants, sénat, cour suprême…), les raisons de lire cette autrice qui a bien connu les mécanismes de la dictature sont donc plus nombreuses que jamais.
Née à Téhéran en 1955 dans une famille musulmane laïque et progressiste, Azar Nafisi est partie à 13 ans étudier en Angleterre puis en Oklaoma où elle obtient son doctorat. Elle rentre après la révolution iranienne de 1979 pour enseigner, mais son refus de porter le voile lui vaut d’être renvoyée. Elle s’exile à Washington en 1997.
Je remercie les éditions Zulma pour cette lecture qui m’a permis de découvrir une autrice exceptionnelle. Son témoignage à partir de deux générations, avec des expériences à priori si différentes, est important.
Connaissez-vous Azar Nafisi ? Êtes-vous intéressé(e)s ?
En 2019, l'autrice Iranienne écrit 5 lettres à son père disparu pour lui parler du monde actuel, du Covid, de ses craintes face à la situation politique et intellectuelle des États-Unis où elle vit.
Elle parle d’elle, de sa fuite d’Iran pour rester libre. Son père, maire de Téhéran, a été emprisonné par le régime du Shah d’Iran. Il refusait le discours politique et clamait son innocence. Aujourd’hui elle s’inquiète pour ses amis en Iran.
Pour elle, lutter contre la pensée unique et les régimes totalitaires, ouvrir le débat, garder notre humanité n’est possible que grâce à l’imagination, donc en lisant. Les livres constituent un refuge ou encore des talismans pour Azar Nafisi.
Ce brillant et passionnant essai littéraire donne une furieuse envie de (re)lire les auteurs cités. On y croise entre autres Salman Rushdie, Margaret Atwood, Zora Neale Hurston, Toni Morrison, James Baldwin. Une ode à la littérature, à la lecture et à l'imagination, qui est la plus belle façon de résister aujourd’hui contre le totalitarisme. Riche en réflexions sur notre monde, ce livre résonne fortement avec l’actualité.
Je remercie Babelio et Zulma pour cette masse critique
Pour les dingues de lecture qui aiment être bousculés par un roman !
Comment la fiction délivrée par certains auteurs ouvre les yeux sur la réalité, sort le lecteur de sa zone de confort, pose les questions sans forcément donner les réponses. A chaque lecteur de réfléchir, d’aller plus loin dans sa compréhension. La réflexion et l’analyse face au simplisme, face à l’instrumentalisation.
2016 durant le mandat de Trump – Azar Nafizi, iranienne exilée aux États-Unis en 1997.
Cinq lettres de l’autrice à son père décédé depuis 12 ans, ancien maire de Téhéran emprisonné par le régime du Shah. Elle aussi a connu les mêmes difficultés en tant que femme dans son refus du voile et en tant qu’enseignante.
Cinq lettres où Azar Nafizi parle à son père comme s’il cheminait à côté d’elle. La sincérité, l’amour qui affleurent dans ces lettres amènent une proximité avec le lecteur. J’ai vraiment eu l’impression d’être à leur côté.
Un magnifique hommage à son père, à leur relation de complicité, à la fois affective et intellectuelle.
Cinq lettres où elle analyse la puissance littéraire de cinq auteurs et comment ils dérangent dans les pensées toutes faites : Salman Rushdie, Margareth Atwood, (« La servante écarlate ») Zora Neale Hurston, Toni Morrison et James Baldwin (« Un autre pays »)
Une analyse très vivante car basée sur les personnages des romans et leur histoire. La puissance de l’imaginaire qui contribue à la réflexion, au sens critique : « La fiction éveille notre curiosité, et c’est cette curiosité, ce bouillonnement, ce désir de savoir qui rendent si dangereuses l’écriture comme la lecture. »
Exemple parfait avec « Les versets sataniques ». Contrairement à la façon dont il a été présenté, il ne remet pas en cause l’Islam, il pose les bonnes questions à propos du Coran. Or les questions pour un Islam rigoriste, mérite la fatwa et l’interdiction de lire Salman Rushdie.
Comment le monde de la fiction permet de comprendre, parce qu’il va plus loin que la perception quotidienne, ce qui se passe autour de nous : « Cher lecteur, (…) nous avons plus que jamais besoin du regard clair de l’imagination pour voir la réalité derrière et au-delà du spectacle. »
L’autrice établit un parallèle frappant entre le régime iranien et les positions de Trump. Mensonges, populisme, démocratie menacée aux USA et totalitarisme en Iran, idéologie primaire et définitive. Pas de questionnements intérieurs, pas de remise en cause, car la Vérité est affirmée par des « guides. »
C’est également un appel à la vigilance pour les l’Occident démocratique : « Comment une chose pareille a-t-elle pu arriver en Iran ? » demandent-ils innocemment. On pourrait leur répondre ainsi : « Comment Trump a-t-il pu arriver aux États-Unis ? » Nous ne devons pas être aveugles à tout ce qui se passe ces temps-ci dans un si grand nombre de sociétés démocratiques, dont les États-Unis. »
Une réflexion riche et foisonnante, sur la lecture et son universalisme, sur la politique. Un hymne également à la curiosité, à l’interrogation, à la lucidité, à la liberté d’opinion.
Une réflexion également sur L’ACTE D’ÉCRIRE, UN ACTE MILITANT COMME CELUI DE LIRE, UN ACTE DANGEREUX. Et l’autrice cite James Baldwin : « On écrit pour changer le monde en sachant pertinemment que cela est sans doute impossible, mais en sachant aussi que la littérature est indispensable au monde. (…) Le monde change en fonction du regard que les gens portent sur lui, et si vous parvenez à décaler, fut-ce d’un millimètre, la manière dont les gens regardent la réalité, alors vous pouvez la changer. »
Sur l’universalisme de la lecture. L’autrice cite Margareth Atwood : « Un sourire ou une larme n’a pas de nationalité ; la joie et la douleur parlent de la même façon à toutes les nations et, par-delà toute la confusion des langues, proclament la fraternité des hommes. »
Un essai facile à lire, lumineux qui parle à tous les amoureux de la littérature, à tout ce qu’elle nous apporte.
Gros coup de cœur pour ce livre passionnant et UTILE. Surtout avant la menace de l’élection de Trump aux USA, devant la progression du populisme en Europe, devant la montée en puissance de nombreuses dictatures dans le monde….
Merci aux éditions Zulma pour cet essai passionnant !
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