"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Lundi 28 juillet 1986, deux camions citernes transportant chacun douze mille litres d'ammoniac vers une usine de cigarettes sont retrouvés brûlés aux environs de Harfleur. C'est le énième d'une série de braquages identiques à une différence près, cette fois, il y a 7 morts.
L'inspecteur Nora est chargé de l'enquête. Des cabinets de consulting parisiens aux bureaux de tabac du coin de la rue, des travées de l'Assemblée nationale aux usines du Montenegro, Nora tente obstinément, 20 ans durant, de comprendre, identifier, traquer et arrêter ceux dont le métier est de corrompre, manipuler, détourner, contourner tout ce et ceux qui font obstacle au fonctionnement de la machine à cash des cigarettiers.
Une dizaine de personnages donnent vie à cette intrigue ample et ultra documentée, qui décortique les arcanes du lobbying industriel et explore les méthodes de manipulation du marketing et de la communication. David Bartels, enarque brillant et sans scrupule, à la tête d'une agence de comm, vend ses talents à European G. Tobacco. Valentina et Helene, dirigent une entreprise très "féminine" d'événementiel et agissent en douceur ; Anton Muller, l'homme de main, utilise des méthodes plus coercitives. Face à eux, Nora, l'OPJ entêté qui veut abattre Goliath et Patrick Brun, un petit lieutenant qui s'est juré de ramener à ses parents une jeune femme disparue au moment du braquage d'Harfleur.
Un roman qui met en avant comme dans un Loup de Wall Street, des rois de la manipulation qui ne sont que des communicants, des lobbystes dans une fresque sur deux décennies sur l’industrie du tabac. Nous nous retrouvons donc dans une sorte de bal des vampires violent. Tout commence par ce braquage en 1986 au Havre, spectaculaire et minutieusement organisé. Un inspecteur de police qui va se casser les dents sur cette histoire et poursuivre inlassablement, pendant vingt ans, le chef d’orchestre et les commanditaires de ce braquage. Cela va devenir une obsession et cette traque conduira de Paris au Montenegro, des couloirs de Bruxelles au dédale des mafias de l’Est, des sociétés de conseil en marketing aux circuits de course automobile.
Marin Ledun a choisi un style épuré, un rythme rapide, phrases au millimètre, dialogues acérés, il met en avant l’action, les gestes et les comportements que l’on constate dés les premières pages. Certain pourrons reconnaître des figures politiques et des personnalités dont ceux du banditismes.
Ça pourrait n’être que l’histoire d’un lobby, mais c’est plus que cela.
Le polar m’a rappelé des reportages sur Arte et lors desquels j’avais déjà été douchée, bouche et oreilles grandes ouvertes. Mais en version thriller c’est tout de même plus chouette.
On pense être au fait d’une bonne part de la fourberie des hommes, de leur soif d’argent et de notoriété, mais Marin Leduc, de par sa documentation poussée, dévoile quelques trucs intéressants. En tout cas, ils l’auront été pour moi.
Le thème de fond : le tabac tel qu’il a « vécu » fin XXe siècle.
Un nombre impressionnant de domaines sont impactés, infiltrés, foutus HS face au lobby du tabac et de ses additifs (auxquels je n’avais pas pensé). Plusieurs domaines sont concernés, de la pub à de la culture, de la santé au ministère de l’intérieur, des chercheurs au monde sportif, du cinéma à la prostitution, jusque tout en haut de l’échelle politique. Je mêle volontairement les thèmes car tout est enchevêtré.
Plusieurs de nos hommes politiques français sont cités, aussi bien négativement que positivement.
Les industriels, bien sous tout rapport, exploitent les addictions des humains et en arrivent, eux aussi, eux surtout, aux pires extrémités. Ils se fichent bien de la santé des hommes et des femmes auxquels ils font croire, à cette époque, que le tabac il est tout beau, tout mignon, voire même un plus pour leur image dans nombre de circonstances.
C’est souvent violent et sans concession.
Ah! j’oubliais deux secteurs : les sociétés écran telle que l’Européan G. Tobacco ainsi que les sociétés caritatives qui en prennent, toutes les deux, pour leur grade.
Vive les sponsors ! Vive le lobbying !
Les personnages sont attachants, pas forcément au sens premier du terme, mais plutôt par leur cynisme, leur hypocrisie, leur facette infantile (je pense à ce méchant qui découvre son plaisir lorsqu’il tient une arme dans sa main).
Les deux flics, Patrick l’enquêteur de terrain et Simon de la brigade des finances, sont plaisants.
En deux mots l’histoire.
On est en 1986 lorsque deux camions citernes d’ammoniac sont braqués et disparaissent sans laisser de traces ; dans le sillage de cette énigme, sept cadavres et la disparition d’une jeune femme Hélène. L’enquête s’étalera sur vingt années. Vingt ans c’est long mais c’est légitime et réaliste, et surtout c’est à hauteur de la masse des données glanées.
Quelques longueurs sur les 600 pages : le premier tiers est palpitant, puis quelques longueurs qui pourraient décourager mais comme on se balade un peu partout sur la planète, disons que ça peut se défendre.
Si « Free Queens » est aussi bien documenté et un chouilla plus court, je lirai le prochain Marin Ledun.
Remarquablement précis, fort bien documenté, au-delà de la fiction on devine la réalité, bien plus cynique que tout ce qu'on pourrait penser, tellement probable qu'on se passionne pour la chose ; ce pavé est passionnant et l'on ne voit pas les pages passer tellement on est pris dans les multiples engrenages de l'histoire.
Bravo ! CM
C'est un roman extrêmement bien documenté qui relate tout ce que vous avez toujours voulu savoir (ou ignorer) sur les manigances de l’industrie du tabac pour contourner les lois et rendre les consommateurs de plus en plus dépendants.
Un roman très dense, de 602 pages, qui nous explique sur une période de vingt ans, de 1986 à 2007, la traque têtue de deux policiers, qui enquêtent chacun de leur côté avec des motivations différentes. Leurs cibles sont essentiellement un lobbyiste machiavélique et son homme de main sans scrupule, ainsi qu’un réseau de prostitution lié à la promotion du tabac notamment sur les circuits sportifs prestigieux comme la F1. Tout y est : lobbying, chantage, corruption, contrebande, études scientifiques falsifiées sur fond de politiques anti-tabac inopérantes… Et quelques meurtres pour couronner le tout !
Un style direct, court, sans fioriture, quasi journalistique pour servir ce polar édifiant.
Quelques longueurs et redites m’ont retenue pour la cinquième étoile.
Marin LEDUN m’était inconnu et ce fut une très belle découverte littéraire. Ce livre, pavé de 600 pages est une véritable enquête d’investigation, très documentée et pointue. Il se lit d’une traite tellement le lecteur est captivé par les dessous de l’industrie du tabac ici révélés au grand jour sous forme de fiction, mais, sommes-nous vraiment dupes ?
L’histoire commence le 28 juillet 1986 par le braquage de deux camions citernes remplis d’ammoniac liquide destiné à une usine de cigarettes, 24 000 litres envolés, mais les choses dérapent, il y a 7 cadavres et une jeune femme disparue.
A partir de là, le livre va couvrir les vingt ans à venir en nous les faisant vivre dans les deux parties opposées : d’un côté, on va suivre deux officiers de police qui ne se connaissent pas mais enquêtent chacun sur une partie du braquage (le vol de l’ammoniac pour Simon Nora et la disparation de la jeune femme pour Patrick Brun), et d’un autre côté, on va découvrir l’industrie du tabac, au travers de responsables véreux d’une agence de lobbying.
Tout est présent dans ce livre : manipulation d’hommes politiques, chantage, prostitution, extorsion, crimes organisés, mensonge, sexe… et vingt ans de magouilles politiques, d’élections présidentielles, de lois anti tabac, tout est tellement vrai que cela en devient effrayant.
Que nous soyons fumeur ou non, ce livre est édifiant et invite à la réflexion.
https://www.alombredunoyer.com/leur-ame-au-diable-marin-ledun/
"Mon métier consiste à falsifier, manipuler, abuser, tricher, corrompre pour vendre le plus de cigarettes possible et m'enrichir. Je ne sais faire que cela."
Un drôle de business
Tout démarre avec le braquage au Havre le 28 juillet 1986 de deux camions citernes remplis d'ammoniac liquide destiné à une usine de cigarettes. 7 morts, 1 femme disparue, une quantité astronomique de liquide envolée.
Marin Ledun brosse à partir de cet événement plus de 20 ans d'enquête des officiers de police judiciaire Nora et Brun, déterminés à retrouver les coupables. Du Havre jusqu'en Serbie en passant par l'Assemblée nationale et les cabinets de conseil parisiens, le circuit de F1 de Monaco, l'Italie ou l'Espagne, le lecteur suit David Bartels, Sophie Calder, Anton Muller respectivement lobbyiste, proxénète et homme de main.
Les policiers investiguent, analysent, traquent. Ils font souvent du surplace mais jamais ne baissent les bras. Qui est ce fameux homme mystère qui tue? Ou se cache-t-il?
Dans le même temps, les magnats de la nicotine ne sont pas en manque d'idées pour promouvoir leur marque, vanter la liberté de fumer et vous inciter à acheter leurs produits.
Palpitant, haletant, glaçant. Le lecteur cogite énormément.
"L'industrie du tabac dénonce officiellement la contrebande mais elle en est directement à l'origine. Les documents internes de la société française BRS Conseil dont le principal client est European G. Tobacco, rendus publics par décision de justice, ont révélé l'organisation de réseaux de contrebande dans différents pays européens et des Balkans (Serbie, Montenegro, Albanie, Kosovo), considérant cette contrebande comme partie intégrante de leurs activités afin d'accroître leurs profits."
Tout est permis !
Marin Ledun met en exergue les us et coutumes des fabricants mondiaux de cigarettes prêt à tout pour imposer leur marque, être vus et se révéler incontournables. Il réalise un vrai travail d'information et affiche au grand jour le recours aux méthodes mafieuses. Il ose, il illustre, il écrit. Sans asséner sa vérité, sans dénoncer au sens littéral du terme, il pousse a minima le lecteur à s'interroger.
Tous les coups sont en effet permis pour contourner la loi Evin par exemple, que cela soit la corruption des hommes politiques, pots de vin et dessous de table, ou l'usage intensif du lobbying. Les exemples sportifs sont particulièrement marquants : les grands groupes sont des sponsors majeurs des écuries de F1, s'affichent sur les panneaux publicitaires ou sur les tenues des playmates.
Plus inquiétant et pour autant réel, la contrebande est une méthode phare. Comme la citation ci-dessus le démontre, elle est directement liée, plus ou moins ouvertement, aux magnats de la nicotine et à l'utilisation de méthodes pour le moins "douteuses".
Le rôle de Anton Muller est parfaitement décrit. Ses activités vous glaceront voire vous terrifieront. Crimes organisés, extorsion, tabassage en règle, extorsion... un véritable homme de basses œuvres comme les films en sont légion.
De là à généraliser avec le "tous pourris"... je ne franchirai jamais ce pas, et vous recommande d'en faire de même.
La morale? L'argent coûte que coûte! Car tout le monde y est gagnant... État et Industriels...
"Que ce soient les Iraniens, les Basques ou l'Action directe de la bande de Rouillan, le terrorisme engendre un sentiment de peur dans la durée. Or, le marketing, qui est devenu un outil indispensable pour promouvoir nos produits, se nourrit de deux choses, le sexe et la peur. La peur fait vendre, monsieur le président, c'est un fait."
Réaliste et addictif
Marin Ledun m'a replongé dans mon enfance. Il est vrai "qu'à l'époque", on
fumait n'importe où, on montrait des personnages publics en train de fumer (qui n'a pas souvenir de Jacques Chirac la cigarette au bec...). Marlboro était un sponsor incontournable des circuits de sports mécaniques. Et l'intrigue passe à de nombreuses reprises dans mes chères Landes natales. Merci au passage Marin Ledun pour le clin d'œil répété à Herm.
S'appuyant sur une documentation aussi riche que précise, Marin Ledun nous rend totalement accroc à l'intrigue. Les événements s'enchaînent, les phrases sont courtes comme le sont également la plupart des chapitres. L'écriture est sobre, ciselée, sèche, le style est efficace, nerveux. Les
personnages ne laissent pas indifférents.
J'ai eu l'impression de me retrouver dans un 24h chrono. J'imagine assez
aisément d'ailleurs le portage en série. Leur âme au diable s'y prête
totalement, et sa récente récompense à Quais du Polar en témoigne. Entièrement mérité.
C'est du lourd, c'est violent, c'est un vrai roman noir comme je les aime. En toute objectivité, je reconnais qu'il y a certes de très rares longueurs et passages que j'ai survolés. Logique vu le pavé mais loin d'être perturbant. Tout est superbement maîtrisé et fluide.
Vous l'avez compris je suis conquis. Leur âme au diable est un beau coup de cœur tant le travail de Marin Ledun est documenté. Sa plume efficace imprègne un rythme haletant et offre ainsi une intrigue aussi rythmée que passionnante. Les plus de 600 pages en paraissent 200, elles se tournent sans s'en apercevoir.
À l'instar de la cigarette, l'addiction du lecteur est totale. Marin Ledun vous enfume avec brio de bout en bout. Chapeau l'artiste !
Je recommande fortement.
5/5
Marin Ledun a dû s'appuyer sur un travail documentaire énorme ,sans doute comme Nora ,policier entêté,qui cherche depuis 20 ans à coincer l'assassin d'un chauffeur routier braqué pour le vol d'amnoniaque:celui-ci entre dans la composition du tabac!Vous pénétrez dans des volutes addictives;argent,pouvoir et tabac.Passionnant,écoeurant,ce polar de 600 pages se dévore à grandes doses de caféine.Heureusement,pour ma part,je préfère le thé et ne fume pas!
Un roman édifiant ,nécessaire ,où les"méchants"ont la part belle.
Marin Ledun revient avec un roman noir, un roman dense qui dépiaute la machinerie capitaliste et le lobbying du tabac, le tout étalé sur une vingtaine d’années.
Lorsqu’on plonge dans ces 600 pages, la longueur n’existe plus, il se créé une forme d’addiction et on ne lâche plus le bouquin. C’est foutrement bien documenté, et d’un réalisme cynique. La fiction, qui court de 1987 à 2007, est émaillée d’évènements historiques, politiques.
Les cigarettiers et leur pouvoir immense s’immiscent partout et font la loi. Même la loi Evin de 1991 n’aura pas raison d’eux, ils s’adapteront pour poursuivre leur commerce juteux même si fumer provoque 7 millions de morts chaque année. Ils gouvernent le monde grâce au lobbying en direction des hommes politiques, des sportifs et des artistes. Fumer, c’est cool, c’est la liberté, c’est tendance et tout est fait pour faire oublier les effets nocifs et mortifères de cette cigarette qui ne contient pas que du tabac.
Menaces, chantage et manipulation des politiques, crimes commandités, prostitution, contrebande … tout est bon pour vendre toujours plus et faire de l’argent et tout cela fait froid dans le dos.
Deux flics vont enquêter sur les évènements pas nets : Patrick brun tente de remonter la piste des sept cadavres et des camions d’ammoniaque subtilisés tandis que Simon Nora, de la brigade financière, traque les manipulateurs et épluche tous les comptes des sociétés écran de l’European G. Tobacco.
Ils vont s’intéresser à David Bartels, ce lobbyiste ambitieux et sans scrupules aux méthodes discutables. Il les mènera à Valentina, escort girl qui dirige un réseau de prostitution de luxe sous couvert d’une société qui gère l’évènementiel sportif. Elle travaille pour les gros clients de Bartels.
On croise de nombreux personnages, complices où rivaux, mais tous dévorés par la même ambition et dénués de scrupules.
Malgré quelques longueurs, l’intrigue est rythmée. Le style sobre, alerte de l’auteur qui mêle intimement documentation et fiction, nous entraîne tambour battant jusqu’à l’ultime page de ce roman haletant et ô combien terrifiant. On en redemande, à quand le prochain, M Marin Ledun ?
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