"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans un merveilleux récit initiatique vivant, cru, chargé d'érotisme et de violence sexuelle, pétri d'humanisme, Henry Louis Gates raconte son enfance dans la petite ville industrielle de Piedmont, en Virginie-Occidentale dans les années 1950 et 1960. Il nous fait pénétrer dans un monde « de couleur » aujourd'hui disparu de prédicateurs enflammés, de ragots licencieux, de défrisages de cheveux à base de soude caustique et de purée de pomme de terre et de résistance à la fois sournoise et obstinée à l'injustice et aux outrages de la ségrégation raciale.
Le cercle restera t-il entier ? »
« Bienvenue à la Zone de Couleur aurait pu proclamer une large banderole. Et à l’intérieur on se sentait bien, c’était comme marcher chez soi, pieds-nus. »
« Gens de couleur » dans les années 1950 à 1960 , en Virginie-Occidentale, plus communément appelé Piedmont, petite ville industrielle où l’Histoire va changer. La grande mutation des appartenances. Il faudra attendre un peu, dans le mitan du livre où le renom prend place.
Écoutez la voix de cet enfant (le double de Henry Louis Gates Jr. ),l’auteur et narrateur conter sa vie et celle de sa famille et de ses frères et sœurs de couleur.
On a tous en nous, une image qui nous heurte encore de ces longues années d’apartheid.
Des chiens lâchés en pleine rue. Des hurlements et les peurs de ces êtres, nôtres, ployés par un racisme d’état.
L’enfant conte les traductions siennes, dans un langage au plus proche de ce qui fut de ce pan de l’Histoire. Des façons de se coiffer, dans la manière la plus lisse possible. Se fondre dans un mimétisme et déjouer les codes des soumissions.
L’acceptation d’être un être inférieur, jusqu’au jour de trop.
Les idiosyncrasies, les diktats, les lois et les règlements en vigueur. Marcher en frôlant les murs, sans dépasser les limites mentales. Les barrières prégnantes, les ségrégations, les barbelés sur les consciences. Être noir sur les monts Allegheny, le carton rouge, la fin de non recevoir.
Mais ce jeune garçon est doué, sincère et plein d’allant. Il joue des coudes. Sème des éclats de lumière, se dit vivant et combattant. Observe et relève les jours pour les marquer au fer rouge, pour demain.
Le flot des paroles de cet enfant est du baume au cœur, la preuve des possibles.
Les confidences ne sont jamais assassines. Les faits dévoilés, la réalité mise à nue, qui heurte nos esprits et notre éthique d’un vivre-ensemble en parfaite union.
Ici, nous sommes au cœur de sa famille. On marche avec eux dans cette ville fractionnée et mutilée, où les interdits sont le pain quotidien.
Les exemples nombreux attisent les heures et les minutes où pas un espace commun n’est dédié à la concorde et à l’alliance.
Les verres en carton pour eux, ceux en verre pour les Blancs.
Les écoles pour les uns et d’autres plus affames pour les Noirs.
« Ce téléviseur était l’arène rituelle où se jouait le drame de notre race. »
Certains enfants noirs sélectionnés pour franchir la même cour d’école.
« Pas de grosses lèvres, pas de ceci ou de cela. »
Le Dr. Martin Luther King, ce révérend si emblématique, pour l’universalité et les droits civiques, détient le futur.
L’enfant grandit dans cet espace où les enfants d’aujourd’hui apprennent dans leur livre d’Histoire, le mot ségrégation. « Ségrégation du berceau au cercueil. Mais il fallait bien que quelqu’un fasse le travail, alors c’était les noirs. »
Les ressentiments, les culpabilités vont faire grandir le champ des réflexions. Des batailles pour tout changer. Des manifestations réprimées, la révolution des esprits fraternels, et ce peuple noir qui va envahir les rues, jusqu’à en perdre la vie. Les couleurs et les traits confondus dans un même pays. Comprendre que tout doit finir, s’achever en liant les couleurs, les sentiments. Les bouleversements intérieurs qui vont faire de ces peuples de dualité le gris commun.
« En 1956, j’entrais à la Davis Free Elementary School. Après 1955 l’école fut pratiquement le seul lieu racialement intégré de la ville. »
Mais les ambitions se heurtent aux rochers de haine. « Parce qu’il y avait leur monde blanc à eux, leur océan, leur marée, et dans ce monde blanc, votre petit c.. noir était aussi insignifiant qu’un grain de sable. »
« Chaque fois que quelqu’un essaie trop de nous aider, disait papa en riant, il se fait tirer dessus. »
Ce récit est néanmoins du côté de la joie. Cette famille vaste de frères et de sœurs de couleur, soudés par les valeurs fondamentales, où les codes s’affranchissent en autodérision.
La lucidité de comprendre que le racisme n’a d’égal que le mépris. Ils savent que les ténèbres et la mort sont d’équité.
Ils ont foi en leurs vertus existentielles. La dignité des rois en somme.
« « Ses frères et lui m’appelaient alternativement« Malcom» et « Stokely", et ce avec la plus grande dérision. »
« Mon grand-père était un homme de couleur, mon père un Negro et moi je suis noir. »
« Comme toujours, le Blanc est aujourd’hui mon juge, se préparant à contrôler ma destinée. C’est votre décision, soit de me laisser en plan en tant que non-entité, soit d’encourager mon développement personnel. Accordez-moi l’autorisation de prouver ce que je vaux. »
« Gens de couleur » est la proclamation d’une enfance avec des cernes sous les yeux.
L’impulsion d’un plaidoyer nécessaire, initiatique.
Traduit de l’anglais (États -unis) par Isabelle Leymarie. Publié par les majeures Éditions du Canoë.
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