"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Judicieux, engagé, à contre-courant, « L’exercice du skieur » est d’une magistrale construction.
Singulier, et dans le charme vif de chacune des phrases-pensées, c’est une descente à ski de haute voltige. L’avant-garde sportive et sociologique tirée au cordeau.
L’exercice littéraire, la montagne et les vallées de diktats, le temps qui passe immanquablement, et qui change le décorum sociétal.
L’idiosyncrasie entre l’avant et ce maintenant, qui touche à l’essentiel. Se maintenir en vie, en posture d’un skieur emblématique et lucide qui dévale la pente, tel un contemplatif d’un paysage tout en mouvement. L’éphéméride de la nature signifiante.
Scène d’un jour, qui demain, sera encore différente. On pourrait penser à Annie Ernaux, à Frédérique Germanaud, aux écrivains (es) qui ressentent le mot comme une étoile de neige entre leurs mains. L’attitude face à l’urgence de garder le cap de ce qui fut formidable et inné.
Ici, il n’est pas question de fonte des neiges. Tout est en suspend dans un style sublimement personnel. Le glas des mouvances, dans cette métamorphose liée aux changements de modes de vie. Figer ce printemps 2022, dans une petite station de ski qui se meurt. Les cycles en continue mais les habitus qui s’épuisent. Ici, Sophie Coiffier rassemble l’épars. Des souvenirs d’enfance, jusqu’à la calligraphie douloureuse d’une nostalgie. Hédoniste et lucide, elle somme et convoque la contemporanéité et la déliquescence d’une cartographie sociétale. Elle écrit en posture de devoir.
« C’est ainsi que la ville, découpée en quartiers bien définis, a lentement sombré. »
« Pendant tout ce temps, je sillonnais les rues sans destin, dévalant couloirs et chemins goudronnés, dans l’époque nonchalante, la suite m’a trompée. »
Urbaniste du verbe, observatrice, « ce qui est bien avec les utopies, c’est que personne ne les habite vraiment. Ni ceux qui les conçoivent, ni celles et ceux qui en achètent les appartements. D’un point de vue étymologique, une utopie est un non-lieu. En cela Évry-Ville-Nouvelle, c’était exactement le contraire, puisque la ville au départ avait poussé sur le modèle anglais, d’une forme de cité idéale, façon Oxford... »
Les mutations politiques, qu’est-ce-que la neige et cet exercice mental dont Sophie Coiffier œuvre à l’exutoire ? Un livre magnifique, de sens et de réflexions.
La trame-décennie, et l’enjeu du monde, de l’existence, comme l’éthique du skieur qui refuse la neige artificielle. Tout est symbole.
Ce texte de renom : « C’est plein d’heures, la nuit. Un bouquet d’heures sur la tombe du jour. C’est pire en hiver. Il faut mettre des mots sur ces unités de temps de peur qu’elles partent sans contenu, il n’y a pas d’action, sinon se laisser aller à écouter aux portes du sommeil sans en avoir la clef. Souvent il n’y a rien, même pas une idée. On est là, à peine mort, sans contenu, sans effort, une toute petite éternité, un souffle. »
« L’exercice du skieur » est d’une grandeur philosophique qui frôle la métaphysique du temps présent. On ressent comme un enjeu, une passation des pouvoirs. L’écriture qui coopère aux immensités d’une trame qui somme les bouleversements, les écologies souveraines et d’urgence sociétale.
Les entrelacs des années 1970/1980, de l’enfance à l’aube nouvelle, c’est un livre stupéfiant, vaste et intime qui prend la main.
« La boule de neige, c’est la cloche du temps. »
Un exercice triomphant, dont on admire notre réalité mise à nue. «
« Ce qui a été tracé n’est plus qu’une ombre. »
En lice pour le prix Hors Concours des Éditions indépendantes, et c’est une grande chance.
Publié par les majeures Éditions L’Ire des Marges.
Recueil de chroniques, de nouvelles ou de courts textes, liés plus ou moins au rangement, au déménagement et à son corollaire l'emménagement.
J'aime beaucoup. Tout. L'idée d'aller fouiller dans les espaces, les endroits dans lesquels on entrepose, on amasse et en ressortir la photo ou le texte qui fait remonter des souvenirs, des sensations, des réflexions : "Tu feuillètes l'album renfermant la collection des images Nestlé de ton grand-père Jean, datant de 1927, avec un brin de nostalgie : la moitié des animaux répertoriés sont en syncope mais Nestlé est toujours debout. C'est même une des plus grosses industries agroalimentaires du monde. Et devine quoi ? Son logo est un nid. What else ?" (p.14). L'écriture parfois poétique, directe, sans fioriture et très belle. Parfois des textes rapides aux phrases courtes, sèches et d'autres qui prennent leur temps au fil de longues phrases, très ponctuées, avec des jeux de répétitions, d'allitérations...
Je ne sais plus qui disait que l'écrivaine n'a pas forcément une vie plus riche qu'un autre, mais qu'elle a le talent de la raconter. Ces textes de Sophie Coiffier en sont l'exemple parfait. Quasiment rien de ce qu'elle raconte n'est extraordinaire, je me suis même remémoré quelques souvenirs personnels très proches. Mais les ressemblances s'arrêtent ici, là où moi, je serais plat et sans saveur, elle sait intéresser et procurer un réel plaisir de lecture. Très beau texte d'une écrivaine que je découvre dans une maison d'édition découverte avec Le syndrome Shéhérazade de Eric Pessan et que je surveille depuis...
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