"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au sortir de la guerre, tout n'est que chaos et désolation. Un air lourd de tristesse habite les planches et pourtant la vie est en ébullition. On fait la fête sans codes, tout est permis surtout le ridicule. On se croise, on se connait, on se reconnaît, on s'oublie.
Petar erre dans une ville en constant bouleversement, qui ne se remet pas des stigmates de la violence. L'amitié reste vive, l'amour tente un passage.
Petar rencontre Liza, une lumière de tendresse autour, une poésie à fleur de peau, leur histoire envahit nos coeurs. On respire à nouveau, un temps.
Et le gris revient, les démons guettent, le souffle se perd.
Au début de ma lecture, je n'arrivais pas à lire, les peintures de Miroslav exerçaient sur moi une fascination totale m'aspirant dans chaque recoin de détails.
Cet album est une splendeur.
Chaque case nous plonge dans un sentiment différent, défilement d'objets, de personnages, tout semble sorti d'un grand chapeau de prestidigitateur et puis les mots se mêlent aux tableaux et la poésie brute, contemplative frappe de plein fouet.
Il est difficile de prendre ce livre à la légère, de ne pas entendre les phrases résonner et être habité•e par la mélancolie mais le voyage est si beau qu'il serait dommage de ne pas le vivre ✨
Coup de Coeur
Lorsque j'ai reçu le colis, je me suis aperçue avec surprise qu'il s'agissait d'un livre très épais, bien plus dense qu'un format classique : l'ouvrage est doté d'une couverture cartonnée, papier épais, ce titre ne compte pas loin de deux cents pages, ce qui pour un roman graphique, est conséquent. C'est un bel ouvrage qui m'attendait là ! L'auteur Miroslav Sekulic-Struja est croate, il est également l'auteur de Pelote dans la fumée I et II publiés chez Actes Sud également. Il a été remarqué en 2010 par le court récit L'homme qui acheta un sourire. Petar et Liza est une oeuvre qu'il a achevée en résidence d'écrivain, dans laquelle il s'est installé en 2020 à Angoulême. Miroslav Sekulic-Struja est non seulement l'auteur du texte inscrit dans les bulles, il est également l'illustrateur, il a peint ces planches à la gouache.
Un titre succinct, clair, dans l'esprit de l'ouvrage. Deux personnages, Petar et Liza. Petar revient de l'armée, il aime écrire, il faisait d'ailleurs office d'écrivain public pour ses compagnons de chambrée. Après l'ordre, la discipline, les emplois du temps remplis et la gamelle pleine de l'armée, où l'on découvre que Petar a une appétence pour l'écriture, il revient dans une ville où il ne retrouve plus sa place. Petar erre, Petar s'accoquine avec tout un tas de personnes aussi désoeuvrées et paumées qu'il rencontre, mais Petar n'arrive à se fixer nulle part. C'est une existence de marginal, de travailleur précaire, qu'il entreprendra, entrecoupée par la guerre. Petar finit par rencontrer Liza, c'est le coup de foudre, d'autant qu'ils ont quelques points en commun. Liza est une jeune artiste, c'est une danseuse. Liza remet un peu de sens dans une vie qui avait perdu le sien depuis longtemps.
L'auteur ne s'étend pas en détails contextuels, nous ignorons tout des lieux, de la temporalité lorsqu'on déchiffre la première vignette. Pour emprunter au jargon du roman graphique, pas de récitatif, de voix-off, pour nous fournir ces informations. Ce sera à nous de les déchiffrer dans la mesure de nos possibilités. La toute première case donne à voir une ville désertée, traversée par une avenue, jonchée de détritus, de chiens errants. À notre gauche, de vieux immeubles de quatre étages, reliés entre eux par le linge étendu, parés de vélos prenant appui sur leurs murs. À droite, des chantiers, des immeubles en construction, moins hauts que les précédents. Une vignette tout en symboles, que l'on comprendra mieux peut-être après avoir fini de lire l'ouvrage. Si l'on s'en tient à la nationalité de l'auteur, on subodore qu'il s'agit d'une ville croate, peut-être la capitale Zagreb, peut-être une ville serbe. Et le prénom Petar pointe ces origines anciennement yougoslaves.
La rencontre de Liza s'avère être le point d'orgue de la vie de Petar, qui lui donne une nouvelle jeunesse, un renouveau bienfaisant en lui apportant compagnie, affection, chaleur humaine et soutien, un semblant de vie sociale, du sens à son existence. Petar est un mélancolique, un vrai, fragile, trop, altruiste et généreux, à l'excès. Cette asthénie qu'il porte sur son visage est le fil directeur de l'histoire, que cette ville porte sur le sien, elle se retrouve d'ailleurs dès les premières planches du roman graphique : c'est une ambiance de désolation, paysages et visages plein de tristesse et d'ennui. Les couleurs des images sont ternes, l'ambiance y est maladive, Petar porte le poids du monde sur ses épaules, seul, il subit, il marche, il regarde le temps passer, les gens déambuler autour de lui. Petar ne comprend plus le monde, il ne s'y adapte plus. L'armée a produit une coupure nette dans sa vie. À travers cette histoire d'amour, ou Liza apporte le plus d'équilibre au couple, l'auteur croate raconte surtout Petar, un individu en déliquescence, un parmi tant d'autres, prise en étaux entre un ancien monde qui laisse peu à peu la place à un nouveau monde, auquel il n'arrive pas à se connecter. Petar se perd dans le chaos de la vie qu'est devenue son existence, ce thème de l'anarchie est d'ailleurs récurrent dans le roman graphique : tout est bousillé, la ville, son appartement. Miroslav Sekulic-struja accumule les vignettes, celles qui m'ont particulièrement marquée, ou il est totalement paumé parmi une foule hétéroclite, une ambiance presque apocalyptique, ou drogues en tout genre et alcools sont rois. Les murs y sont tagués. Les meubles retournés. Les sols, une décharge à ciel ouvert. Si Petar est totalement paumé, il n'est que le héraut d'une classe d'hommes ou de femmes tout aussi perdus dans la transition de leur pays, bloqués quelque part entre passé et présent.
Miroslav Sekulic-Struja a un style à lui, le coup de crayon est reconnaissable, et ses vignettes très riches en détails, j'ai particulièrement été interpellée par les bandes qui mettent en scène les foules, particulièrement expressives, des images abreuvées de visages en tout genre, tous porteurs de cette même forme de désespoir que l'on retrouve chez Petar à tout âge de sa vie. Encore une fois, Liza est la lumière de ce roman graphique, au milieu de cette foule dégingandée, désabusée.
Miroslav Sekulic-Struja a mis en scène un duo, Petar et Liza, qui se complète assez bien dans la mesure où Liza peut encore empêcher Petar de sombrer totalement dans la neurasthénie. On y lit aussi, dans un second plan, les difficultés d'une société à intégrer le nouveau monde, ses codes. L'économie socialiste, certes pas reluisante et très critiquable, a laissé place à un capitalisme féroce et qui a laissé beaucoup sur le carreau. C'est un monde assez cruel que l'on aperçoit, laissant crever les siens dans un coin, exploitant jusqu'à la mort les dépossédés de tout, sauf de leurs bras et leurs jambes. La fin en demi-teinte est présente en une ultime planche qui résonne avec la toute première case, dans la même tonalité de l'ouvrage, un monde insensé et insaisissable.
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