"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Autrice montante de la littérature serbe contemporaine, le livre de Milica Vuckovic a été récompensé à plusieurs reprises.
Son roman est inquiétant.
La couverture préfigure déjà le malaise hypnotique qui va nous assaillir puisque dans une pénombre rougeoyante, un homme bâillonne violemment une femme. La lecture est pénible car nous sommes invités à vivre une fuite en avant impitoyable. Comme un lapin pris dans la lueur des phares d'une voiture, nous assistons tétanisés à la longue descente en enfers d'Eva qui entraîne avec elle son jeune fils matias.
Ce livre sur l'endurance porte la parole des femmes qui se taisent. L'héroïne est serbe et la pauvreté l'amène à migrer en Allemagne pour espérer un statut de travailleur pauvre. L'héroïne est une femme et son éducation lui commande d'obéir à son homme et de servir tous ses besoins. L'héroïne est une mère monoparentale et la culpabilité de ne pas offrir la meilleure vie possible à son fils la dévore. L'héroïne se nomme Eva et garde un regard magnifique sur la beauté de la vie.
Eva est une jeune femme serbe comme tant d'autres, elle travaille, elle s'est émancipée très tôt, elle a fini par rencontrer un garçon dont elle est tombée amoureuse, s'est mariée avec, a eu un enfant. Mais l'histoire ne dure pas et Eva se retrouve seule avec son fils, Mario. Eva est jeune, elle fait d'autres rencontre, dont Viktor, un écrivain en devenir. À mesure que la relation devient sérieuse, Eva est confrontée aux réactions disproportionnées de Viktor. Mais Eva est amoureuse, elle est sous emprise, et cède aux excuses larmoyantes et théâtrales de son conjoint, qui fait preuve d'une violence de moins en moins retenue. Ce titre m'a d'abord interpellée, d'autant que la couverture de Mikki Rosa, n'entretient à première vue aucun rapport avec lui, et c'est bien là tout l'enjeu de ce roman : un titre en blanc apposé sur cette illustration faite de couleurs très sombres – beaucoup d'ombres sur les visages et en lumière une couleur rouge sang – qui présentent un homme bâillonnant une femme. le malaise est palpable, on pressent que le titre va nous mener sur bien d'autres chemins que celui du sport et des chevilles foulées ou des claquages de tendons. Des blessures que tout athlète a un jour bien subi dans sa vie de sportif. Sauf qu'Eva ne pratique aucun sport.
L'autrice le dit, c'est un roman sur et dédié aux femmes qui se taisent, lesquelles se retrouvent en la personne d'Eva : quelques lignes à peine suffisent à comprendre qu'elle est née et a grandi dans les failles de parents qui visiblement n'étaient pas sur la même longueur d'onde. le père diplômé mais sans travail et devenant professeur d'EPS par la force des choses, la mère devenue vendeuse de fruits et légumes, qui n'a jamais réussi à surmonter sa déception de ses ambitions tombées à l'eau, d'autant que la naissance d'Eva fut non désirée, contrairement à soeur cadette de douze années, Vera. L'enfance d'Eva pose les fondations de la femme qu'elle va devenir et c'est bien ce que souligne l'autrice, des fondations fragiles et cahotantes, sa présence est déjà vécue comme un fardeau que l'on se traîne, qui tente de se faire aimer par tous les moyens, se fait invisible, muette, presque inexistante. Milica Vučković décrit cet effet papillon, qui va faire d'elle une femme taiseuse, passive, accusant les coups sur le plan psychologique autant que physique sans broncher, pourvu qu'elle reçoive un peu d'amour – où cette forme de dépendance affective que le bourreau tente de faire passer comme tel – une larme, un soupçon, une illusion d'amour. La vie d'Eva, c'est la succession de relations défaillantes, maltraitée toujours de façon différente mais toujours aussi violemment, à l'image de sa première relation amoureuse, rabaissée par la mère bourgeoise de cet amoureux qui la considère indigne de son fils.
La vie d'Eva illustre toutes ces façons de maltraiter quelqu'un, de l'humilier, l'ignorer, de le manipuler, d'exercer du chantage, de le violenter autant physiquement que psychologiquement, tant de méthodes pour normaliser cela, en premier lieu celle de faire taire. le récit d'Eva est perturbant, car dès le début, avec le recul du lecteur qui est le nôtre, la perception du malaise est palpable, d'abord dans cette famille serbe normale, ensuite dans le comportement d'Eva et son manque de réaction, comme si elle était anesthésiée, face aux agressions dont elle est l'objet. Aux relations, chacune néfaste à sa manière, de ses différents petits amis, à ce colocataire qui s'incruste et joue les squatteurs chez elle sans qu'elle n'ose le mettre à la porte pendant trois longues années : Eva est victime du manque de repère que ses parents n'ont pas su donner.
Le mécanisme du retrait de la parole d'Eva, illustrée justement par cette couverture terrible, passe d'abord par sa relation avec ses parents – une culpabilisation sous-jacente et infantile qui consiste à les « épargner » – et devient générale, un effet pervers qui permet au bourreau de s'exciter sans limite, de l'entourage à continuer à se dédouaner de tout. La parole est importante ici, car elle est tue, ou mal employée, travestie, Eva ne sais plus comment parler, il n'y a et n'aura jamais de situation idéale pour parler. L'issue fatale des blessures d'athlétisme, c'est le long cheminement d'Eva, son apprentissage vers la prise de conscience de ce qu'elle subit, des comportements dysfonctionnels qu'elle encaisse de tout le monde. Une expérience qui rejoint l'une des rares paroles sensées de son compagnon Viktor « J'ai appris tout seul, en m'écorchant les genoux à vif ». Les traumatismes d'Eva, toutes ces lésions musculaires, fille d'un père professeur de sport, sont malheureusement le chemin nécessaire pour une réelle prise de conscience de son schéma de fonctionnement et d'un espoir de pouvoir changer pour être heureuse. Mais rien n'est moins sur. À défaut de sauver son personnage principal, Eva, l'autrice Milica Vučković pousse sa lectrice à prendre conscience des mécanismes de l'emprise.
Milica Vučković décortique les liens d'amour-haine d'une relation toxique dans son dernier livre salué du Prix Vital du meilleur roman en langue serbe 2021.
Suite à une première relation avec un homme pour le moins indifférent et immature, qui lui a laissé sur les bras un fils dont il n'a apparemment que faire… Eva ne sait sans doute plus très bien où elle en est de sa relation aux hommes.
À la faveur de ce mal-être, en manque d'amour, elle tombe tout de même sous le charme de Viktor.
Certes, c'est un bel homme qui semble intelligent, mais les premiers mots qui tombent comme des couperets auraient dû l'alerter sur la véritable personnalité du bellâtre qui n'a de beau que l'apparence.
Au début de leur relation, elle est ainsi fière et heureuse de l'emmener pour leur première virée dans la maison de sa grand-mère qu'elle affectionne tant.
Seulement voilà, leurs échanges tournent vite à la frustration : les réflexions incessantes de Viktor sont déplacées, puis de plus en plus acerbes, violentes…
Comment réagira Eva ? Lui trouvera-t-elle des excuses ?
Pensez-vous qu'elle saura se départir des lourds schémas patriarcaux qui l'empêchent d'être pleinement épanouie et sortir des griffes de ce "monstrueux amour" qui commence ?
Bien sûr qu'on voudrait toutes lui dire à Eva : ne fonce pas tête baissée dans cette relation sans savoir qui tu as vraiment en face de toi !
Une question qui semble de plus en plus nécessaire et qui devrait collectivement nous alerter quand on voit les chiffres dramatiques des violences faites aux femmes…
Mais peut-on vraiment savoir quel homme se cache derrière le masque de l'amour ? Et puis, comment trouver le courage de sortir d'une relation toxique ?
La langue de Milica Vučković est celle du réel, elle est lucide et sans concession. Elle est ici admirablement retranscrite par sa traductrice Chloé Billon.
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