"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quatrième reboot à bord de l'YSS Infinity. Cette fois-ci c'est Patty Stardust, agent infiltrée au sein de la Guérilla symbolique depuis cinq ans qui doit abandonner urgemment son travail et griller sa couverture pour aller explorer la nécropole intergalactique. Comme les précédentes intervenantes, elle a huit heures devant elle pour comprendre ce qui empêche le vaisseau d'avancer.
Toujours aussi bien cette série. J'en suis à la moitié et à chaque épisode, j'ai l'impression de lire une nouvelle histoire. Cette fois-ci, Patty Stardust en est l'héroïne. Infiltrée dans une guérilla post-hippie, ou néo-hippie, des artistes qui pratiquent l'amour libre, la fumette ou autre prise de substance faisant planer. Liberté avant tout. C'est au moins ce que l'on en comprend de l'extérieur. Mais sans doute est-ce plus compliqué pour qu'il y ait besoin d'une agent infiltrée, la communauté est-elle si pacifique que cela ? Et quid de ce ce millionnaire mécène de cette guérilla : quel rôle joue-t-il ?
Couleurs psychédéliques, références à cet univers et aux hippies, certaines que j'ai repérées, telle cette grenouille (p. 37) qui est à la tête de musiciens et danseurs (cf. Love is all de Roger Glover, écoutez, je vous garantis la chanson dans la tête pour au moins la journée, non non, ne me remerciez pas c'est cadeau). Puis le nom même de l'agent Patty Stardust... Encore une fois, la bande dessinée fonctionne parfaitement. Toujours scénarisée par Lewis Trondheim aidé cette fois par Kris et dessinée par Martin Trystram. Peut-être pas la plus dense des aventures, mais l'une des plus simples à suivre et de très jolies choses à l'intérieur malgré les méchants qui rôdent.
Il n'est pas encore trop tard pour débuter cette excellente série dès le début ; pour rappel, voici mes recensions sur chaque tome : Romance et macchabées, Retour vers le Führer, L'évangile selon Emma.
Après « la Vallée des Crotales », « la Vallée des Dinosaures » ou « la Vallée des Masques », voici la Vallée Meylaud. Connaissez-vous « Nef des fous » ? Oui, le célèbre tableau de Jérôme Bosch, conservé au Louvre. La Vallée Meylaud part un peu du même principe. La seule différence est que, au lieu de confier les personnes différentes et marginales au gré du fleuve, les autorités les confinent dans une vallée, sous l'autorité médicale du professeur Meylaud, initiateur du projet thérapeutique (ou sécuritaire, selon les points de vue).
Edwin, le héros, a été envoyé par sa société pour ouvrir un bureau dans la vallée Meylaud. Très vite, il prend conscience de la concentration en un seul endroit de toutes les fantaisies, les névroses, voire les psychoses disponibles dans le DSM (400 différentes définitions des troubles mentaux.) L'endroit tient bien moins de l'hôpital psychiatrique que du vaste parc d'attractions, parcouru par des bus qui font du surplace et ne vont nulle part. Et les musées, ce sont les supermarchés où on ne trouve jamais ce que l'on cherche, mais bien un autre produit qui en a l'arrière-goût : du fromage de chèvre pour le café. Evidemment, pour certaines fêtes (l'anti-carnaval), on adopte les costumes / les déguisements de la normalité, de la vie en-dehors de la vallée. Et donc, la liberté étant totale, le positivisme règne en maître. du moins, on pourrait le croire. Mais tant de bonheur, de joie de vivre, de liberté, cela en gène certains. Au point de commettre des meurtres …
Comme John Ronald Reuel Tolkien, ou George Raymond Richard Martin, dans des genres différents, Pascal Forneri, le fils de Dick Rivers, est parvenu à construire un univers avec une telle cohérence interne, avec sa grammaire propre, qu'il en devient presque crédible. Pourquoi pas ? La vallée de « Les Rivières pourpres » reste le meilleur exemple de confinement, tout à fait plausible.
Mais ce monde décalé, aux couleurs acides, presque maniéristes, est truffé de citations, d'allusions et de références. Dans Jean-Pierre dit Synapsos, j'ai reconnu René Goscinny. Et le plombier ressemble très fort à l'acteur Boris Karloff, à moins que ce ne soit au Surfer d'argent. Sur la couverture, on se surprend à évoquer la belle Sylvia Kristel sur l'affiche d'Emmanuelle. le tout de prendre vie sous le crayon de Martin Trystram, si recherché pour son talent dans le monde de l'animation. La mise en page est d'ailleurs très cinématographique.
Reste le propos de ce premier tome. Il interroge clairement le concept de la folie, ou plutôt la définition de la maladie mentale. Au fil des siècles, l'enfermement a pris bien des formes : le bateau livré aux éléments naturels, l'exil (le Mat dans le jeu de tarots), puis la prison (genre Bicêtre), puis l'asile et, enfin, les expériences d'intégration (comme François Tosquelle à Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère). Et donc la question qui est posée, me semble-t-il, est la suivante : les êtres humains sont-ils faits pour vivre ensemble dans leur diversité ? Un humaniste répondrait que oui. Un pragmatique dirait que non, et encouragerait le communautarisme, issu de notre instinct grégaire. Comme Colette, j'aurais tendance à dire que les personnes se prétendant différentes sont souvent d'une normalité extrême (ce qui n'est pas péjoratif, loin s'en faut !) Autrement exprimé : le monde est saturé de personnes particulières (que d'autres qualifieraient de « bizarres ») qui se forcent à jouer le jeu social, à paraître normales. Si bien que la folie, comme l'écrivait déjà Érasme au XVIe siècle, serait on ne peut plus salutaire pour échapper à toute normalisation sociale, philosophique, voire esthétique. Alors qu'on reproche à chacun son individualisme, sa volonté de se distinguer comme celle d'un éternel adolescent, le monde et la société continuent à fonctionner par son uniformisation. Si un modèle culturel s'impose à tous (de Coca-cola à Facebook) alors qu'il prétend vous permettre l'expression totale de ce que vous êtes, n'est-ce pas absurde ?
De toute façon, Arthur Rimbaud ne l'avait-il déjà pas écrit : « Je est un autre » ?
Il n'y a pas encore de discussion sur cet auteur
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !