"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le prologue, les lettres de la mère du gouverneur général du Joseon où elle lui rappelle sa révélation « Tu m’avais dit que, dans le ciel bleu qui te fascinais, un immense œuf rouge et rond avec au centre une tache noire avait murmuré à tes oreilles -Si tu bâtis une maison de vie, tu auras pour toujours le Joseon à tes pieds ».
La Corée est sous le joug du Japon depuis plusieurs années. Le jour de son investigation, le nouveau gouverneur est victime d’un attentat et décide la construction d’une maison près de ce bâtiment à étages qu’est le parlement qui lui permettrait d’asseoir son pouvoir. Ce bâtiment dissonant du point de vue architecture a été construit devant l’ancien palais pour bien montrer aux coréens qu’il n’y a plus de roi et que le pays est devenu japonnais. Le gouverneur-général décide de confier la tâche de trouver le terrain propice aux géomanciens coréens et Kim s’en voit chargé. Coréen, il est partagé entre obéir aux ordres du japonnais, l’envahisseur, et son âme coréenne qui refuse cette intrusion. Commence un jeu subtil entre les deux hommes. Doit-il agir comme géomancien ou citoyen coréen ? Pour ne pas que la maison se construise sur la résidence du palais, Kim propose le jardin interdit où seul le roi pouvait déambuler.
« Bien que le Japon ait annexé le Joseon et qu’il domine le pays, il ne faut pas qu’il possède la matrice de la terre. Il ne faut pas que nous soyons privés de la terre où la vie du Joseon est conçue. On peut être dépouillés du pays tout entier, mais on ne doit pas être dépouillés de cette petite partie. Si l’on bâtit la résidence dans le palais, il se peut, du poins de vue de la géomancie, que le Japon règne pour toujours sur le pays. »
Le gouverneur utilise les croyances coréennes selon son bon vouloir. Au Joseon (ancien nom de la Corée), a chaque naissance, on place le cordon ombilical et le placenta dans une jarre que l’on enterre. Haruki, agent spécial du gouverneur est à la recherche des jarres royales pour décorer l’allée menant à la future maison pour bien montrer au coréen qu’il n’y aurait plus de dynastie coréenne régnant sur le pays, que seul le Japon règne et régnera.
Serin, la seule femme du roman, coréenne a pris la foi chrétienne et fréquente l’ancien restaurant à gisaeng (geishas) devenu un foyer pour femmes où elle se sent bien et comprise. On lui fait confiance, apprend l’anglais et un peu de japonais. Elle est mandatée pour traduire les propos du géomancien
J’ai découvert la géomancie, composante principale de ce roman. Rechercher un, lieu propice ou impropre à une construction en harmonie. Tout l’art de choisir un terrain
La Corée est féminine, le schéma du jardin interdit ressemble au vagin féminin. Chacune à sa manière résiste. Serin, se libère du joug japonnais en se mettant sous l’aile chrétienne ; Myeongwood, jeune femme disparue, militante de l ’indépendance, dont on a découpé l’utérus avec un soin chirurgical.
Kim Da-Eun, à travers le géomancien, parle de son pays, terre nourricière, assaillie, souillée par les chinois, les japonnais, mais qui résiste ( Myeongwood). Le palais en est la matrice.
Un livre subtil, dense, riche en enseignements tout en restant fluide. Tout est métaphore, image pour parler de la colonisation, de la suprématie japonaise sur la Corée et la résistance des coréens. L’art des envahisseurs qui tour à tour rejettent ou acceptent la culture, les traditions coréennes pour mieux s’en servir.
Il faut prendre son temps pour entrer dans le livre où chaque chapitre porte le nom du narrateur, ce qui simplifie grandement la lecture.
Découvertes d’une autrice et d’une maison d’édition qualiteuse.
Gyeongseong, Royaume de Joseon, 1926. Le pays subit la colonisation de son voisin japonais depuis seize ans déjà. Le roi est retenu au Japon et l'homme fort en Corée est désormais le gouverneur général, un japonais traumatisé par la tentative d'assassinat dont il a été victime dès son arrivée dans le pays. Blessé dans sa fierté, il souhaite afficher sa puissance en faisant construire une ''maison de vie'' dans l'enceinte même du palais de Gyeongbokgung. Pour l'aider à trouver un ''lieu propice'', il fait appel au géomancien Kim, détenteur des secrets du pungsu, le feng-shui coréen. Pour cet homme fier de son art et de sa terre, cette demande est un terrible dilemme. Doit-il indiquer un lieu propice au gouverneur et être ainsi un traître à son pays en collaborant avec l'ennemi ? Ou peut-il préconiser un endroit néfaste et mettre en péril sa réputation professionnelle ? Et si la solution était le jardin interdit que seul le roi pouvait fouler de ses pas ?
Classé au rayon polar, Le jardin interdit est bien plus que cela. On est très loin de la trame classique avec crime et recherche du meurtrier. Il y a bien une femme dont on a retrouvé le corps démembré mais l'intérêt n'est pas là. Ce qui rend ce roman original et passionnant, c'est la description des mœurs et traditions du Joseon, l'intention des colonisateurs d'imposer la culture japonaise et la résistance qui s'organise.
Les traditions et croyances coréennes, jugées archaïques, sont foulées au pied et le Japon s'acharne à les éradiquer. Les envahisseurs ont construit le bâtiment du gouvernement général devant le palais royal de Gyeongbokgung, coupant ainsi l'énergie vitale venant de la montagne, au grand dam des géomanciens qui craignent pour la survie de leur patrie. Le gouverneur fait rechercher dans tout le pays, les jarres contenant le cordon ombilical et le placenta des rois du Joseon, une autre manière de montrer au peuple que plus jamais la dynastie royale ne retrouvera sa place au palais. Aussi, la résistance s'organise. C'est une pièce de théâtre à double sens que l'on monte, en déjouant la censure. Cela peut aussi passer par une conversion au christianisme afin de se mettre sous la protection des missionnaires américains. Ou c'est un géomancien, pris entre deux feux, mais bien décidé à berner ce gouverneur général qui veut s'emparer du ki, la force vitale et l'énergie cosmique, pour dresser une résidence vouée à démontrer la pérennité de la colonisation. Pour trouver l'endroit propice, Kim utilise la métaphore de la matrice originelle, comme lieu de naissance et de vie. La Corée est une femme, c'est la terre-mère, souvent assaillie par les occupants, son intimité est violée, aussi faut-il trouver le point précis de son plaisir pour y bâtir une maison qui serait alors protégée, choyée, hors de toutes les menaces...
Le jardin interdit est un roman riche, aux intrigues nombreuses et imbriquées. D'un abord difficile, il ne se laisse pas facilement apprivoisé mais si on persiste à connaître les méandres et les enjeux de la géomancie, à s'imprégner de cette culture si différente, on finit par s'attacher à découvrir le fin mot de l'histoire et on ressort de cette lecture un peu plus intelligent qu'avant.
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