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Cette BD nous plonge dans une légende bretonne. J'ai donc découvert l'histoire de la Cité d'Ys. En bord de mer, cette ville résiste aux assauts de l'eau grâce à une sombre magie. Lorsque la Reine de la Cité meurt, ce sont ses filles qui vont tisser la destinée d'Ys. L'une sombre dans la sorcellerie, l'autre communie avec la nature. Ainsi, le scénario nous narre cette légende envoûtante. Je me suis laissée prendre aux pièges de la ville, séduite par les deux personnages féminins. Rozenn et Dahut, campent des femmes fortes mais aux caractères opposés. Elles sont un peu comme le yin et le yang.
Au- delà de l'histoire en elle même, l'esthétique a été une vraie gifle. Je ne connaissais pas le travail de Jo Rioux. Ses dessins sont remplis de poésie. Les regards des personnages transpercent le lecteur et viennent éveiller divers sentiments. Et puis, il y a ces couleurs. Ces nuances de bleus et de verts qui viennent nourrir la mer déchaînée. L'esprit graphique de Jo Rioux donnent un vrai relief à la légende, lui donnant une dimension onirique, presque irréelle.
Voici une superbe revisite du mythe celtique de la grandiose cité d'Ys.
Ce livre est beau et volumineux !
La couverture et la tranche font l'objet probablement d'un marquage à chaud de leurs lettrages dorés.
Au touché c'est du plus bel effet, une petite sensation de relief, et cela annonce la qualité du contenu.
Le scénario de M.T.Anderson pour "Soeurs d'Ys - la malédiction du royaume englouti" :
Matthew Tobin Anderson revisite admirablement cette vieille légende bretonne de la cité d'Ys.
Il existe de nombreuses versions de cette légende et les "puristes" s'apercevront bien vite des différences existantes entre cette version et "l'originelle".
Le scénariste a donc puisé son inspiration dans trois des interprétations parmi toutes les récits existants :
- le Foyer breton, Contes et Récits populaires d'Emile Souvestre,
- Les Grandes Légendes de France d'Edouard Schuré,
- le Roi d'Ys, livret pour l'opéra d'Edouard Lalo de Edouard Blau.
Au-delà de l'histoire mystérieuse pleine de magie, M.T.Anderson revient sur les liens psychologiques liés aux fratries.
En effet l'histoire focalise essentiellement sur la relation entre Rozenn et Dahut, deux soeurs que tout oppose.
Rozenn, l'héritière "légale" du trône, aspire à une vie naturelle et simple, et par conséquent s'éloigne du faste et des obligations dues à son rang.
Dahut, quant à elle, se sait être la cadette et donc sans prétention au trône. Possiblement par une pointe de jalousie, elle profite du désintérêt de son aînée pour essayer de prendre en main le royaume...
Dépassée par les évènements, elle va finir par reprocher à sa grande soeur son "laxisme" au point d'en devenir encore jalouse, et aller ainsi droit à la catastrophe...
Ce scénario illustre bien les tensions qu'il peut exister dans les familles quand un héritage d'un fort enjeu est à se disputer...
La narration de la légende est essentiellement graphique, afin de bien faire ressortir le côté enchanté de l'histoire.
Les dialogues n'en sont pas pour autant laisser en reste.
La magie tient donc la part la plus essentielle de la saga. Sans elle, l'angoisse ne se créerait pas. Elle est donc omniprésente dans toute la fable.
Tantôt obscure, tantôt joyeuse, on sent parfaitement l'équilibre du bien et du mal, du yin et du yang (d'ailleurs ce symbole me rappelle étrangement les flots tumultueux du récit...), dans la nature environnante, à l'image de la dualité entre ces deux soeurs.
Mais plus on avance dans l'épopée, plus cet équilibre tend à se rompre, et conduire à une conclusion certaine.
Les protagonistes n'y échapperont pas sans sacrifices pour rétablir l'équilibre harmonieux... Et c'est là, pleinement, que le suspens réside et que l'auteur nous dévoile tout son talent !!!
Malgré tout, en connaissance du final attendu, le lecteur s'y prend espoir, et en sera récompensé ou pas...
En bref la revisite de ce mythe est particulièrement bien imaginée et conçue.
L'artiste a réussi à conserver un superbe suspens jusqu'au bout, et cela même quand le lecteur en connait déjà le final.
Le dessin de Jo Rioux pour "Soeurs d'Ys - la malédiction du royaume englouti" :
Le dessin de Jo Rioux est original.
Le trait est épais, très souvent en rondeur ou en courbe, inspirant le mouvement perpétuel telles les eaux d'un océan, et donnant une petite facette enchanteresse, agréable, à l'image de la magie environnante du récit.
Les personnages sont très caractéristiques, avec des visage "allongés", des nez fins, des chevelures soignées, de grands yeux qui ne laissent pas indifférent et qui véhiculent toutes les émotions, etc...
Les couleurs choisies sont sur des tons assez ternes (pas de couleurs vives bien flashy), plutôt automnales.
Elles semblent adaptées à la légende du climat de la région, et en plus elles accentuent la part obscure de l'allégorie que nous lisons.
Et comme presque de fait exprès, la sortie de la BD est arrivée presque au début de la saison d'automne...
Les mises en scènes se focalisent essentiellement sur les protagonistes allant du gros plan au plan d'ensemble ou paysage.
Le découpage est efficace, avec de grandes cases aérées non délimitées par la droiture d'un trait, et dont les arrières plans sont la plupart du temps dénués de détails préférant combler le vide par des dégradés ou effets de couleurs.
Les vignettes sont peu nombreuses par page, majoritairement de trois à cinq cases, mais l'auteur nous offre aussi de sublimes pleines page ou double pages.
L'ensembles des techniques, artifices et talents de dessins et de colorisation, évoque une ambiance sombre et oppressante fort adaptée.
En bref, ce style assez marginal, convient à merveille pour illustrer les histoires mythologiques et fantastiques d'un tel acabit.
Les artistes ont su suggérer graduellement le stress et la pression au lecteur pour aboutir au drame final tant attendu.
Ils ont admirablement su nous immerger dans les flots tumultueux et envahissants de la cité d'Ys et sa légende.
C'est un beau travail presque magique !
La légende d'Ys : « une mosaïque à trous »
Deux auteurs américains, MT Anderson et Jo Rioux, revisitent la célèbre légende. le scénariste se présente en effet comme un amoureux de la Bretagne qui avait été d'ailleurs été le décor de son premier roman graphique : l'adaptation d'«Yvain le chevalier au lion ». En reprenant la légende d'Atlantide version celtique, MT Anderson a voulu rendre hommage à cette région. Comme il est fin mélomane et apprécie l'opéra de Lalo « le Roi d'Ys », il a décidé d'ajouter à la version courante de la légende qui met en scène Dahut et son père seulement, un troisième personnage : Rozenn la soeur aînée. Ainsi est né « soeurs d'Ys ».
Le titre marque l'importante de la relation sororale et le sous-titre éclaire sur la dimension légendaire et tragique du récit ("la malédiction du royaume englouti"). le texte de 4eme de couverture insiste sur la symétrie et la différence entre les deux soeurs. La couverture est très attrayante : avec un lettrage en marquage à chaud, la recréation dans les courbes du motif du triskell breton, un beau vert celtique et les visages des deux soeurs placées de manière symétrique et opposée. Ce bel objet livre est complété d'une bibliographie et d'un cahier graphique. Ne soyez pas rebutés par l'épaisseur du volume car si la pagination est généreuse, la mise en page est très aérée avec de nombreuses pages muettes et de grandes cases (souvent pas plus de 3 vignettes par planche).
La légende d'Ys « était une mosaïque à trous » d'après le scénariste. Il a donc comblé ceux-ci et a voulu par exemple élucider la raison pour laquelle on a ouvert les portes de la ville ou développer le choc affectif qui a crée la rupture entre les deux soeurs.
Le point fort de cette adaptation du conte est le portrait contrasté des deux soeurs qui nous interroge sur les choix que l'on peut faire et l'attrait du pouvoir. En outre ce récit nous interpelle sur les temps actuels : notre rapport à la course aux innovations, aux ravages qu'on fait à la nature …
Entre livre de contes et bande dessinée
Le dessin est particulier mais très expressif. Jo Rioux est principalement illustratrice jeunesse et cela se voit. le monstre marin de Dahut est original et semble rendre hommage au Gruffalo de Julia Donaldson (un classique de la littérature enfantine anglosaxonne). Son trait est simple, rond et doux mais très expressif et elle joue avec splendeur du clair-obscur. La scène des funérailles vikings de la reine Malgwen (avec le bûcher sur la mer) est ainsi de toute beauté. Elle crée un fort contraste entre les lumières de la nature et l'obscurité des mondes marins et citadins.
La mise en page est aérienne : pas de bords francs des cases, gouttières parfois tremblées, vignettes transformées (en forme de poisson par exemple lorsque St Corentin raconte son histoire). Les volutes abondent. On a souvent l'impression que les personnages flottent (vêtements, cheveux) et la ville d'Ys elle-même est faite de courbes. Les crayonnés sont apparents sous l'encrage et créent un dynamisme.
Enfin, les couleurs choisies sont principalement automnales : vert, marron ocre et orange et rappellent les couleurs de la Bretagne. La façon d'apposer les couleurs rappelle le style de l'école de Pont -Aven.
Deux soeurs
C'est une histoire morale sans être moralisante. Tout d'abord parce qu'elle met en scène l'avidité humaine au travers du personnage du roi de Kerne : mégalomane, il n'en a jamais assez et épuise sa femme qui meurt prématurément avec ses demandes de palais, galeries des glaces, jardins suspendus. de plus, il a assis son pouvoir sur l'assassinat du mari de Malgwen et fait prospérer son royaume grâce au pillage des bateaux par les monstres marins et à l'esclavage ….
Ensuite parce que l'histoire est assez avare de mots et se raconte surtout en dessin : on a ainsi un portrait des deux soeurs sur trois strips en deux pages muettes. Elles sont bien différenciées : Rozenn l'aînée est viscéralement attachée à la nature. Dahut fascine par sa lente descente en enfer. Rozenn est présentée comme terrienne avec des cheveux épais touffus comme des buissons et une coiffure bouffante qui rappelle des nuages. Dahut, la passionnée, est rousse comme il se doit, élancée et fluide comme la mer. Chacune est dotée d'un animal : un petit moineau pour Rozenn, un monstre marin pour Dahut.
MT Anderson ne fait pas nonobstant preuve de manichéisme : on n'a pas la gentille Rozenn d'un côté et la méchante Dahut de l'autre. Elles sont complémentaires et ont hérité de leur mère Malgwen la fée scandinave : l'une a un lien très fort avec la nature, l'autre possède des pouvoirs magiques. Rozenn n'assume pas son rôle d'aînée et fait preuve de lâcheté en s'enfuyant dans la nature ; Dahut prend sur elle la responsabilité d'Ys et de son père et remplit son devoir quoi qu'il en coûte. D'ailleurs c'est lorsqu'elle va faire preuve de pitié qu'Ys va sombrer. Les deux soeurs (et surtout la cupidité de leur père) sont finalement responsables de la malédiction du royaume englouti.
Cet album constitue une très jolie relecture du mythe celtique pour petits et grands …
Hyppolyte
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