"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Félix Ventura est bouquiniste à Luanda (Angola), mais il est surtout connu pour son métier de « créateur de passés », qu’il vend à des clients désireux de transmettre à leurs héritiers une généalogie flatteuse et honorable. Hommes politiques ou d’affaires, anciens militaires ou révolutionnaires, nombreux sont ceux qui ont eu recours à ses services et lui ont ainsi permis de vivre confortablement et paisiblement.
Mais un jour, un mystérieux étranger lui demande de lui construire une biographie angolaise. Ventura, réticent, s’exécute néanmoins, Mal lui en a pris : pour une fois, le passé qu’il a créé se réveille, surgit dans le présent et bouleverse celui-ci, au grand dam des protagonistes.
Curieux roman que voilà, où le narrateur est un gecko qui vit dans la maison de Ventura, et dont on apprend qu’il était un homme dans une vie antérieure . En plus de nous relater les événements, le gecko nous livre le récit de ses rêves et les souvenirs de cette vie humaine.
Entre rêve et réalité, cette fable teintée de fantastique interroge sur la mémoire et la façon dont elle (re)construit le passé, plus ou moins fidèlement, plus ou moins consciemment, et sur les conséquences de cette démarche sur le présent et le futur.
Ce texte poétique m’a offert ce paradoxe qu’il a beaucoup de charme et est agréable à lire, mais qu’il est en même temps difficile à cerner : je n’ai pas trop compris où voulait en venir l’auteur, faute peut-être de ne pas suffisamment connaître le contexte angolais. Pour avoir déjà lu d’autres romans d’Agualusa, je suppose qu’il a voulu une nouvelle fois dénoncer les dérives de la politique de son pays, qui n’a toujours pas digéré son tumultueux passé post-colonial, fait de dictature et de guerre civile.
Sur une île du Mozambique, on fait la connaissance de Daniel et son épouse Moïra, dont la grossesse arrive à son terme, alors que va débuter un festival littéraire qui accueille des écrivains africains pour la plupart lusophone. L’ile est paradisiaque la mer le sable, le soleil… Soudain une violente tempête s’abat et toutes les communications sont coupées, il n’y a plus aucun contact entre l’île et le reste du monde.
On va assister à un feu d’artifice de réflexions : qui sont les vivants, et les autres, ceux qui sont seuls sur l’île, ou ceux du continent, des discussions s’installent entre ces écrivains venus parler de leurs livres. Quel est le rôle d’un roman quand il y a une tragédie, que peut-il apporter ? deviendrait-il dérisoire ? Les personnalités de chacun se révèlent, les interactions. Que deviennent les petits egos de chacun dans la tourmente ?
L’histoire se déroule sur sept jours, (comme la Genèse ?) et José Eduardo Agualusa nous entraîne au passage vers l’Enfer, ou le Paradis, truffant son récit de contes ou de légendes, nous interrogeant, comme ses personnages, sur la littérature, la fiction, le processus de la création qu’elle soit littéraire ou plus globale, plus philosophique, sur la notoriété, et même sur l’africanité : sans Internet ni communication que reste-t-il à notre époque ?
J’ai beaucoup aimé la réflexion que nous propose l’auteur, la poésie de l’écriture, son univers, avec des rencontres étranges, telle la mystérieuse femme-blatte. Au départ, j’ai choisi ce roman pour mieux connaître les anciennes colonies portugaise, Cap Vert, Angola, Mozambique… et découvrir leurs écrivains réels ou imaginaires car l’auteur nous promène et cherche à nous désorienter.
Ce roman m’a permis de découvrir José Eduardo Agualusa et sa plume magique, je n’avais qu’une seule envie en tournant la dernière page, le lire une deuxième fois pour apprécier les détails ou situations qui auraient pu m’échapper, tant j’étais plongée dans ma lecture.
Ma PAL va être ravie car je viens de l’alourdir un peu plus avec « La société des rêveurs involontaires » de l’auteur, pour le plaisir de retrouver Daniel et Moïra, ainsi qu’une petite sélection d’auteurs du Cap Vert, du Mozambique, et Angola entre autres… mais depuis le temps elle a l’habitude de ma boulimie littéraire…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur (dont je compte sur l’indulgence pour le retard accumulé ces derniers mois).
#LesVivantsetlesautres #NetGalleyFrance !
https://leslivresdeve.wordpress.com/2023/05/31/les-vivants-et-les-autres-de-jose-eduardo-agualusa/
Une explosion d'écrivains sur l'ile de Mozambique où fiction se mélange à la réalité avec intensité. Un équilibre parfois déboussolé pour construire la part des faits et des agissements de tous ses personnages. Une rencontre parfois entre écrivains, protagonistes de leurs livres, ou imagination. Je me suis perdue agréablement dans ce livre singulièrement fou. Je ne connaissais pas Agualusa. "Les vivants et les autres" nous emmène au coeur de l'invention et du pouvoir de la littérature, cette réalité irréelle parfois surprenante nous amène à voir les choses sous un autre angle.
Sur le Morro da Barriga, une favela sur les hauteurs de Rio, la révolte couve. Un énième épisode de la guérilla entre gangs de trafiquants de drogue et autorités a conduit à la mort d’innocents : alors qu’ils participaient à une procession religieuse, des enfants costumés en anges ont été abattus par la police.
Cette fois, les trafiquants s’organisent dans le but de déclencher une véritable Révolution, qui irait bien au-delà des habituelles émeutes de favelas et porterait la guerre jusque dans les beaux quartiers.
Dans leur lutte, les insurgés sont aidés par un trafiquant d’armes angolais, réfugié au Brésil pour fuir son passé de colonel de la sécurité et les affres de la guerre civile de son pays, ainsi que le poison d’un amour ancien.
Un journaliste nain, angolais lui aussi, suit les événements au plus près, ce qui ne s’avère pas sans dangers. Non seulement parce qu’il est amené à côtoyer Jararaca, le jeune leader charismatique à la gâchette facile, et son acolyte ingérable, rappeur et accro aux drogues. Il y a aussi Anastacia, petite amie de Jararaca, qui initie le journaliste à l’ayahuasca, sans compter tous les fantômes de son passé angolais qui ressurgissent bien vivants de l’autre côté de l’Atlantique.
Le roman alterne entre une chronologie très resserrée, quasi heure par heure, des événements de Rio, et des péripéties en Angola, dont la temporalité est beaucoup plus floue.
Agualusa met en parallèle la décolonisation de l’Angola, la lutte politique pour la libération et la guerre civile, et cet épisode dans les favelas brésiliennes, dont on ne sait s’il faut le considérer comme une lutte des pauvres contre les riches, des Noirs contre les Blancs, des néo-esclaves contre les post-colons. Sans doute un peu tout cela en même temps, à la fois guerre de libération, lutte sociale et raciale.
Ce roman est un brin complexe à appréhender si on n’est pas familier du monde lusophone et de son histoire. Quoi qu’il en soit, et même s’il balance constamment entre pessimisme et optimisme, Agualusa, avec sa plume baroque et à travers ses personnages extravagants aux sentiments exacerbés, rend hommage à tous les combats émancipateurs, quel qu’en soit le résultat. « Il est des batailles qu’il ne sert à rien de gagner et d’autres qu’il vaut mieux perdre. […] En Angola, il sera peut-être possible de renverser le régime, mais ça ne changera rien. Ici, au contraire, nous pourrons peut-être perdre cette bataille. Mais après notre défaite, crois-moi, plus rien ne sera plus comme avant. Même vaincus, nous aurons gagné. »
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