Blanche vient de perdre son mari, Pierre, son autre elle-même. Un jour, elle rencontre Jules, un vieil homme amoureux des fleurs...
Ce recueil est sorti chez Les Argonautes en octobre dernier, si la saison de la Lituanie a mis en lumière quelques auteurs du cru, les voisins letton et estonien ont pu profiter de la lumière qu’a suscitée l’événement. En 2014, Jānis Joņevs a été le lauréat letton du Prix de littérature de l’Union européenne et à l’évidence, je l’ai découvert comme un fervent francophile, il est d’ailleurs diplômé d’études françaises, et traduit depuis notre langue en letton. En 2021, avec Tigre, il a remporté le Le Prix littéraire letton annuel de la meilleure œuvre en prose de l’année.
Le recueil est composé de douze nouvelles, dont la nouvelle éponyme Tigre. Et un premier texte, appelé Intro, avec deux citations en épigraphes de Walt Disney et Henry Ford, qui prêtent leur prénom aux deux personnages du texte. Un premier texte qui pose d’emblée la ligne directrice de l’ensemble des nouvelles, et du ton facétieux de l’auteur, très taquin, qui n’hésite jamais à lancer des piques. C’est un premier texte, qui sert d’introduction comme son titre l’indique, et jalonne le chemin de cette interrogation, sur le sens de la vie, de la succession de nouvelles. où Walt et Henry se retrouvent dans un lieu anonyme et face à une multitude de bulletins, sur lesquels des personnes lambdas, prénoms et âges indiqués, ont mis par écrit leur désir le plus profond. Des prénoms aux sonorités lettonnes. Des désirs humains, simples ou démesurés, l’envie d’être exceptionnel et unique au milieu de la masse humaine, des désirs de destruction, d’omnipotence. Et Walt et Henry, deux démiurges créateurs, prêts à donner de la voix aux textes qu’ils lisent.
Ces textes issus du récit liminaire pourraient être les nouvelles qui suivent, si l’on prend au pied de la lettre la fonction de ce texte introductif, cette série de textes qui mettent en place des situations cocasses, certaines empreintes de fantastique, et le monde absurde dans lequel les protagonistes impliqués ne cessent de patauger. Plus que le monde, ce sont les situations aussi uniques que les individus qu’elles impliquent, des gens simples pris dans des imbroglios farfelus ou des cas de figure plus simples, une banale panne d’inspiration, qui pousse les individus dans des états de remise en question et d’anxiété face à un monde qu’ils ne comprennent pas. Mais toujours avec cet humour qui ne cesse de pointer tout au long des récits, un peu poussif, mais toujours de bon aloi, qui touche en premier lieu tout ce qui concerne la Lettonie et ses Lettons.
Jānis Joņevs n’épargne pas son pays dont les habitants sont « incapables de produire une idée originale », toujours très taquin avec lui, même si sa comparaison la plus improbable reste ce rapprochement entre la Lettonie et nos feus Leader Price nationaux. Il semble plus doux avec la France, Bordeaux, mais jamais exempt de piques, comme s’il considérait ce pays comme son hôte avec le respect sans vraiment oser l’esquinter comme il le fait avec son pays natal. L’auteur rit de tout du non-sens du monde, de l’humain et de ses réactions, de l’imprévisibilité, en accentuant le ressort comique en insérant une pointe de réalisme magique, l’effacement de la Lettonie de la mappemonde, qui donne tout son piment aux nouvelles respectives.
La première nouvelle met en bouche, la deuxième Méthode lance les festivités pour de bon, on rit franchement de cet auteur letton en résidence et à la vocation très contrariée, de cette autodérision constante qui entoure la vision de la Lettonie, du statut de l’auteur, de quiconque oserait se prendre un peu trop au sérieux. La troisième nouvelle Théorie met des mots, dans la simplicité et l’horreur d’une visite chez le dentiste, sur les contingences qui rendent notre existence imprévisible, ou même le recours aux ovnis dans le quatrième texte Voyage. L’inventivité dont fait preuve l’auteur, celle qui est de trouver une nouvelle façon d’écrire dans la nouvelle Lettres, est plutôt jouissive, une nouvelle façon de composer, l’auteur réussit à nous surprendre à chaque nouvelle, à réinventer des formes de création – qu’on aime ou pas la déclaration d’amour sous forme d’acrostiche en rapport aux courses présentées sur le tapis de la caisse.
Ce recueil m’a offert de très bons moments de lectures, l’auto-dérision de Jānis Joņevs est salutaire et presque salvatrice, savoir rire de soi-même avec beaucoup d’acuité est un don accordé à très peu d’entre nous (Qui ne s’offusquerait pas si autrui confondait la France avec la Belgique et vice-versa ? ), il y a des extraits que j’ai lu et relu avec beaucoup de plaisir. Rien n’a de sens et ce serait inopportun de vouloir absolument en trouver, car il démonte toute tentative de donner du sens ; à l’image de la nouvelle intitulée La jambe où le corps du narrateur prend le contrôle sur son cerveau et sa volonté d’agir, où toute tentative de velléité de donner du sens est ainsi écrasée par l’envie de faire ce qu’il veut qui devient une entité propre. (...)
« Tigre », fronton de la Lettonie est une œuvre majeure.
Un futur classique, une référence littéraire hors pair.
Douze nouvelles qui s’emboîtent. Un pont entre les êtres.
L’immuable vie, labyrinthique, dans une orée qui nous frôle de près. Devenir tigre, emblème et idéal, la transmutation et l’anthropomorphisme d’excellence.
Commuer l’apparence, mais rester chat. Métaphore et l’exploration des méandres intimes.
Finement politique, la Lettonie signe d’une façon unique sa grande Histoire, sa beauté et ses douleurs.
Ses traumatismes dans l’élégance d’une langue empreinte d’intensité et de pudeur.
« Intro », texte doux et emblématique, «Plus que tout, je voudrais voir de mes propres yeux comment un tout petit chaton devient un gros matou. Je n’ai jamais vu de bébé chat. »
Chant choral, entre les désirs et les surdités. « Ceux qui sont au plus bas de l’échelle sont toujours libres ! Tout cela ne nous concerne pas, nous ne sommes que de semples balayeurs. »
Que dire de « Méthode », la ville de Bordeaux vu de la Lettonie. Écrire une nouvelle en France. « À leur sujet, tout est déjà dit. Mais Edgars, lui devait écrire sur la Lettonie. - Et la Lettonie n’est-elle pas la seule chose qui nous appartienne vraiment ? »
L’errance dans un livre, aux interprétations subtiles, sans paradoxe. Tout est signe et sens, philosophie intrinsèque et le rayonnement extraordinaire de lire autrement une littérature d’ouverture, d’esprit, virtuose de liens tissés.
Apprendre et comprendre ce kaléidoscope de force unique, d’articulations souveraines. Le laisser venir à nous et recevoir tout ce mystère qui se dévoile.
« À force d’orgueil, ils sont devenus plus exigeants et au bout du compte, insatisfaits. »
Un hymne à la Lettonie, le battement du cœur d’un pays. « Tigre », les vérités cachées, pour puiser encore plus profondément le tracé de l’Histoire.
L’indéfectible courage des nouvelles, qui, ici, sont le génie et la patte d’un tigre qui laisse son empreinte.
Ici, tout est symbole, soutiens, désirs et tragédies. Bien au-travers d’une auto dérision, le devoir de prononcer autrement la composition d’un langage d’une stupéfiante intelligence. Le regard altier et Jãnis Jonevs rassemble l’épars et notre regard s’élargit.
Comment subvertir l’immense plaisanterie des erreurs humaines ?
Ce texte moderne, triomphant de beauté verbale, est l’itinéraire à prendre pour ne pas perdre la main sur le monde.
Prodigieux, grave, parfois caustique, et c’est bien, est le bruit sourd des opprimés.
Exceptionnel, l’inhabituel regard qui touche jusqu’aux bordures d’une Europe sans renoncement aucun.
La pure joie de prendre des forces par une telle lecture.
Un mémorial.
Traduit à la perfection par Nicolas Auzanneau qui « s’engage en tant que traducteur littéraire pour la transmission de la culture lettone. »
Ce deuxième livre de Jãnis Jonevs après « Metal » qui a remporté le Prix du meilleur premier roman letton ainsi que le Prix de littérature de l’Union européenne en 2014, est la consécration.
Publié par les majeures Éditions Les Argonautes.
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