"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Engagé, magnétique, terriblement humain, « Personne en avait rien à foutre de Carlotta » est serré comme un café fort. Sombre et lumineux, un tour de force et la preuve des possibles. Une histoire nécessaire, plausible. Un saut dans la flaque des aspérités.
Carlotta Mercedes est le point d’appui de ce récit. Combative, tenace, courageuse, au libre-arbitre avéré, elle est une femme exemplaire. Tout ici est dans les mots et les actes, l’acuité vive, la littérature éminente. Adrénaline fois mille !
L’incipit donne le ton. « Deux décennies et des pouces après sa condamnation, Carlotta Mercedes se préparait pour son cinquième passage devant la commission de libération conditionnelle de l’État de New York. Elle savait que ses nombreuses années de mitard (H23 et 7 jours sur 7, sans télé, sans radio, sans livres, ni contact physique agréable).
Carlotta Mercedes est donc allée en prison. Pour un braquage qu’elle n’a pas commis. Mais présente et le fait que son arme (en Amérique on porte une arme comme une baguette de pain en France), la normalité en quelque sorte. Sauf qu’ici présent Carlotta est condamnée et lourdement.
Son temps carcéral a été un enfer. Violée, martyrisée, à l’isolement, elle aura de cesse de résister aux brimades, à l’intolérance, elle qui s’appelait : Dustin Chambers.
« Avec les menottes, ce n’était pas facile et elle fit donc cela avec lenteur, en écartant les doigts au fur et à mesure, pour tuer une nouvelle fois Dustin Chambers et crier par la seule force du geste ».
Sa transidentité au garde à vous, elle espère sa liberté conditionnelle. Face aux juges, qui plus est noire, dans un pays aux relents de ségrégations. Carlotta pourra-t-elle être libérée ? Elle qui a osé sa métamorphose. Elle qui illumine ce récit de sourires et d’un optimisme avéré. Son humour est une arme. Elle, dont les jours en prison auront été que des humiliations et des atteintes à son intégrité par ses codétenus et les gardiens. Quatorze ans entre les barreaux, la vie qui vole en éclat et son jeune fils laissé entre les mains de sa famille. Les lettres envoyées déchirées, les silences de plomb. Femme libérée sous conditions.
« Quand elle arriva à la porte et découvrit la coulée de boue humaine qui déferlait dans la 42 ème, elle se fit l’effet d’un éléphant d’Afrique un peu simplet qui essaierait de s’incruster dans un jeu de corde à sauter… J’devrais carrément m’prendre un bretzel, c’est tout le parfum de ma vie d’avant. Me souviens pas, on pouvait faire ça avant ? J’vois nulle part de guichet pour acheter des jetons ».
Elle a une adresse : l’antre familial. Elle est attendue et redoutée. Elle, devenue femme, Dustin aux oubliettes. Sa droiture comme une voûte céleste, elle espère accueil pierre angulaire de la tolérance en frappant à la porte de la fratrie. Revoir son fils, auquel elle s’est tant délivrée. Devenu adulte, va-t-il renouer le lien ? Elle se sait malchanceuse, le complexe de l’albatros, toujours entrain de se prendre les pieds dans le tapis. Elle cherche les percées de lumière. Battante, toute rayonnante, sa force est l’espoir et elle ne cède rien aux doutes. Quel va être la réaction devant la métamorphose de Carlotta ?
« Personne en avait rien a foutre de Carlotta » est emblématique. Un titre qui fige Carlotta et prouve les batailles à mener. « Ça va bien s’passer, cette histoire. Mais non, sûrement que j’suis trop dure. Comment ça pourrait être une bonne nouvelle de revoir un de tes parents après tant d’années ? J’suis restée en taule sept mille neuf cent soixante-quatorze jours et c’est tout ce que tu as à m’offrir ? ». Ibe son fils, va-t-il renier sa mère ? Lui, qui se fait appeler Iceman ?
Le roman finement politique, sociologique, hors caricature est le portrait et de Carlotta et d’une Amérique clivante et puritaine. Comment Carlotta va-t-elle se reconstruire ? Nous sommes en plongée dans un texte vif et pourtant joyeux. Carlotta est un arc-en-ciel. Une femme puissante et volontaire. Rebelle, inoubliable, admirable et authentique.
Lisez ce grand livre d’élan et d’envergure. La profondeur magnifique d’un récit doté d’une intelligence vive.
Et, si un jour vous croisez Carlotta en vérité, dites-lui combien elle est une belle personne.
C’est un chef-d’œuvre à haut potentiel cinématographie. Une prouesse d’écriture rare. Traduit à la perfection de l’anglais (États-Unis) par Cécile Deniard. Une couverture explicite à regarder attentivement. Après « Delicious Foods » paru en 2020, James Hannaham vient de mettre au monde un livre salutaire. Édité également par les majeures Éditions Globe.
Un homme, un enfant presque encore, fuit l'enfer avec deux moignons sanglants à la place des mains.
L'enfer ? Une terre agricole américaine, où des accros au crack sont exploités dans des conditions indignes.
C'est cet endroit qu'Eddie fuit. Après y avoir été conduit pour retrouver sa mère, Darlene, toxicomane. Une addiction qui remonte au décès de son mari assassiné par on ne sait qui, probablement des hommes blancs qui, dans le Sud des États-Unis, considèrent bien davantage les animaux que les personnes de couleur.
Ce roman est, aussi incroyable que cela puisse paraître inspiré d'une histoire vraie. Des hommes ont eu l'idée cynique et détestable de profiter de l'addiction de SDF et de marginaux pour les exploiter sur leurs terres en l'échange d'une dose de drogue - bien évidemment, déduite de leur misérable salaire.
On retrouve, dans ce récit, le racisme banalisé qui conduit à laisser impuni le meurtre d'un homme noir, à retarder un procès, à laisser la pauvreté et la drogue enchaîner comme les chaînes ont pu le faire dans le passé.
Mais ce récit aborde aussi la question de la dépendance, grâce au personnage de Scotty, qui n'est autre que la drogue, personnage indépendant qui tire une partie des ficelles.
L'on suit impuissant, Darlene et le gouffre de désespoir qui va la saisir, l'entraînant vers sa première pipe de crack. Cette addiction va la détruire physiquement et moralement, mais aussi tout autre sentiment que l'impérieuse nécessité de se faire un nouveau kif.
Les liens filiaux vont se couper entre cette mère accro et son fils, malgré toutes les tentatives de ce dernier pour sauver sa mère. Petit à petit, Eddie va comprendre l'impossibilité de renouer toute la confiance brisée entre eux, ces promesses jamais tenues.
Malgré quelques petits bémols, comme un rythme plus lent en milieu de roman, ou certains rebondissements en fin de récit, il n'en demeure pas moins que cette lecture est très marquante.
Tout commence par une belle histoire d’amour. Darlene et Nat se sont rencontrés au lycée et ils tombent passionnément amoureux. Ils s’installent à Ovis en Louisianne, attendent leur premier enfant et créent une petite épicerie qu’ils appellent Mount Hope.
Tout aurait pu continuer dans la joie et le bonheur si Darlene et Nat n’étaient pas noirs et ne vivaient pas dans une ville du Sud des Etats-Unis où sévit un racisme latent dont ne sont toujours pas débarrassés les habitants blancs depuis la Guerre de Sécession.
Les événements catastrophiques s’enchaînent et Darlene devient accro au crack ce qui situe ce roman dans le dernier quart du XX e siècle.
Elle se fait alors « embaucher » par les rabatteurs de la ferme Delicious qui produit des fruits et légumes en toute illégalité et qui fait travailler des drogués en échange de leur dose quotidienne.
C’est avec l’évasion impressionnante d’Eddy, le fils de Darlene qui a fini par retrouver sa mère et est devenu esclave à l’âge de 12 ans, que commence ce récit saisissant.
James HANNAHAM y dénonce l’esclavage moderne qui sévit dans l’ombre et nous révèle l’horreur des conditions de vie déplorables et les mauvais traitements que subissent ces drogués, incapables de la moindre réaction.
Outre le narrateur qui raconte cette histoire étonnante, l’auteur a créé un autre narrateur qu’il appelle Scotty et qui n’est pas une personne mais le crack lui-même. Son parler est populaire et familier, il est excessif, sensuel et amoureux des drogués et plus particulièrement de Darlene. Ses apparitions décalées et son humour désabusé détendent l’atmosphère et apportent une vision interne du phénomène de l’addiction.
Si les propos de ce roman paraissent parfois choquants, c’est qu’ils ne sont certainement pas bien loin d’une réalité à révéler au grand jour. Tous les sentiments s’y bousculent, de la force de l’amour à la vulnérabilité du deuil, de la soumission des esclaves à la cruauté des janissaires, des regrets d’une mère au pardon d’un fils.
C’est un difficile mais très beau roman que j’ai lu avec passion et que je recommande vivement pour son style très original, son engagement pour la cause afro-américaine et ses personnages hauts en couleur, humains ou non.
Le premier chapitre annonce la couleur et vous enlève immédiatement tout sentiment de confort par sa brutalité; le reste du roman est une lente et profonde brûlure.
James Hannaham aspire le lecteur dès le début alors que le jeune Eddie s'échappe (de quoi, nous ne savons pas encore) au volant d'une Subaru volée juste après s'être fait amputer des mains. Les premiers chapitres vont nous raconter comment Eddie est parvenu à se construire une vie agréable malgré son handicap. Mais comment a-t-il perdu ses mains? C'est toute l'histoire de Delicious Foods et vous vous doutez bien que je ne vais pas vous la dévoiler.
Pour la découvrir il vous faut écouter les 3 narrateurs: Eddie, Darlene sa mère et Scotty. Qui est Scotty ? C'est la voix du crack dans la tête de Darlene. Oui vous avez bien lu, l'un des narrateurs est la drogue ! C'est même un personnage clé racontant l'histoire par-dessus l'épaule de Darlene observant son environnement avec humour, perspicacité et beaucoup de crédibilité. Scotty c'est « l'ami qui vous veut du bien », c'est le séducteur, celui qui vous dit « fais moi confiance ». Tour de force de l'auteur.
Les thèmes abordés sont loin d'être légers: l'esclavage moderne, la suprématie blanche, l'injustice raciale, l'exploitation humaine, la toxicomanie, la mondialisation, le capitalisme sans entraves.
Alors oui, Delicious Foods est dur et violent mais c'est un sacré bon bouquin grâce à un sujet principal peu traité et grâce à un parti pris narratif surprenant. Inspiré de faits réels, ce roman a obtenu en 2016 le Pen/Faulkner Prize.
Traduit par Cécile Deniard
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