"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Que vous soyez familier de la littérature de science-fiction ou complet néophyte, ce très bon deuxième tome du vaste Cycle de la Culture – un space opera dont les épisodes largement indépendants se découvrent aisément dans le désordre ou même individuellement – a tout pour vous captiver : le rythme, l’humour et l’imagination de sa narration, comme la portée politique et philosophique de son propos.
La Culture est une civilisation utopique post-humaniste regroupant à travers la galaxie, souvent à bord de structures artificielles, une société technologiquement avancée composée d’humanoïdes augmentés, d’extra-terrestres assimilés et d’intelligences artificielles conscientes. Anarchiste et égalitariste – les genres y sont interchangeables et les notions de propriété et de pouvoir n’y existent pas –, elle offre à ses habitants une existence quasi illimitée, confortable et hédoniste, dégagée de tout tracas par la prise en charge des contingences, matérielles, politiques et sécuritaires, par des intelligences artificielles bienveillantes. Celles-ci ont notamment la responsabilité sous-jacente, discrètement exercée, des opérations diplomatiques et militaires nécessaires à la stabilité, voire à l’expansion, de la Culture lorsqu’elle rencontre des civilisations étrangères. Cette interface plus ou moins violente est du domaine d’une agence, nommée Contact, dont personne ne sait à vrai dire grand-chose.
Quelle n’est donc pas la surprise de Gurgeh, champion incontesté du jeu sous toutes ses formes au sein de la Culture, lorsque Contact sollicite son aide pour l’étude de l’Azad, un jeu d’une complexité inégalée qui structure l’organisation de l’Empire, une civilisation récemment découverte se caractérisant par un régime dictatorial et violent, aussi profondément sexiste et inégalitaire que dangereusement belliciste et colonialiste. En premier lieu peu enclin à quitter son confort pour un voyage censé durer cinq ans, Gurgeh accepte la mission sous la pression de circonstances désagréables et le voilà bientôt parachuté en plein coeur de l’Empire, étranger désarçonné par des mœurs et des valeurs à l’exact opposé des siennes, ayant fort à faire pour comprendre les règles de l’Azad, cette compétition qui ne restera jamais qu’un jeu pour lui mais qui, a contrario, décide de la place de chacun dans la société de l’Empire. A moins, au trouble grandissant de Gurgeh, que cette partie gigantesque ne revête aussi pour la Culture un enjeu insoupçonné, propre à ébranler bon nombre de ses certitudes…
Pris dans les filets d’un rythme narratif allant crescendo jusqu’au spectaculaire bouquet final, l’on reste impressionné, de la première à la dernière page, par l’envergure et la précision de l’imagination avec laquelle, non sans ironie, l’auteur construit et oppose ses deux modèles de civilisations, l’une a priori idéale, l’autre a fortiori mauvaise, au final les deux faces de notre ambivalence humaine et, à tout bien considérer, pas si binairement différentes. A vivre parmi les Azadiens, ces Barbares qui nous ressemblent tant, nous les humains d’aujourd’hui, Gurgeh lui-même évolue, éprouve malgré lui des sympathies, se sent gagné lui aussi par l’ivresse de vaincre, bien supérieure au simple plaisir de jouer. En même temps, il prend conscience des aspects les plus retors et manipulateurs de Contact, habile à lui faire endosser à son insu le rôle du Cheval de Troie pour dynamiter l’ennemi de l’intérieur. La Culture mène en réalité une guerre qui ne porte pas son nom et, toute libérale qu’elle soit, n’hésite pas à adopter les règles de l’adversaire pour mieux en prendre le contrôle. Destruction pure et simple de sociétés jugées inférieures et colonialisme de la part de l’Empire, ingérence et déstabilisations politiques de la part de la Culture, ce sont autant de pratiques courantes sur cette Terre que dénonce sarcastiquement Iain Banks, renvoyant dos à dos les clans de tout bord, aux mains aussi sales les unes que les autres.
Sur une trame magistralement tissée de suspense et d’ironie par une imagination impressionnante de cohérence et de précision, Iain Banks nous offre une addictive et réjouissante lecture à plusieurs niveaux, propre à séduire n’importe quel lecteur, adepte ou non de science-fiction.
J’aime autant que je déteste les bourses aux livres : d’un côté, ce sont des occasions en or pour faire le plein de livres à moindre coût (et j’en ressors bien souvent avec des cabas de course remplis à ras bord, quand ce n’était pas carrément un caddie entier), mais de l’autre, je me rends bien compte que ces prix dérisoires m’ont plus d’une fois conduit à me procurer des livres que, finalement, je n’ai pas plus envie de lire que cela. C’est ainsi que L’Algébriste, acheté sur un coup de tête car « il ne coûte que 30 centimes et c’est de la science-fiction », a végété pendant de très nombreuses années dans ma monstrueuse pile à lire, peinant à attirer mon attention : ni la couverture ni le résume ne parvenait à me convaincre de lui laisser sa chance. Il aurait pu rester encore très longtemps sur son étagère, à prendre la poussière, s’il ne m’avait pas été imposé par une participante du challenge « Lire plus pour acheter enfin » dans le cadre de mes gages 2020 (oui, je sais, j’ai du retard, mais mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas ?) et si une participante du challenge « Lire main dans la main » ne m’avait pas proposé une lecture commune … Et mon verdict est sans appel : je suis pour le moins perplexe, pour le mieux mitigée. Le même ressenti en double-teinte que pour les bourses aux livres, en somme !
A force de ténacité technologique, les humains sont parvenus à s’arracher laborieusement à leur Terre natale et à explorer l’univers. Ils ont découvert qu’ils n’étaient pas aussi seuls qu’ils ne pouvaient bien l’imaginer : au-delà des limites de leur système solaire, des myriades d’espèces vivotent elles aussi dans leur petit coin de galaxie. Pour faciliter les échanges, les déplacements, des trous de ver artificiels ont été installés un peu partout dans l’espace. Ce réseau, contrôlé d’une main (ou d’un appendice) de maitre par la Mercatoria, subit toutefois des avarices plus ou moins dramatiques au cours des différentes guerres intergalactiques et autre conflits intersidéraux. Certains systèmes sont donc désormais isolés des autres, repliés sur eux-mêmes comme ils l’étaient avant l’expansion universelle … C’est dans un de ces systèmes que le jeune Voyant Fassin Taak est né, a grandi, et est devenu l’un des interlocuteurs privilégiés des Habitants, ces êtres millénaires et mystérieux qui logent au sein des planètes gazeuses : plus anciens que toutes les autres espèces connues et inconnues, ces « archivistes » savent tout ce qu’il y a à savoir sur tout, mais ne sont pas forcément disposés à dévoiler tout ce qu’ils savent à n’importe qui. Mais le temps presse : une armée d’invasion approche du système, et Fassin doit absolument trouver un Habitant susceptible de connaitre ce que la Mercatoria recherche, et le convaincre de lui confier cette connaissance, pour espérer survivre à ce conflit en approche …
En théorie, cela s’annonçait donc plutôt bien pour la férue de space-opera que je suis, n’est-ce pas ? Mais cela s’arrête là : en théorie seulement. Car en pratique, au bout de quelques dizaines de pages seulement, j’ai commencé à m’ennuyer mortellement : on a le sentiment de lire une interminable encyclopédie durant laquelle l'auteur nous montre pompeusement à quel point son univers est riche, construit, complexe, bigarré, fantasque, rempli d'extraterrestres tout aussi bizarres les uns que les autres. Page après page, il en rajoute une couche, comme si « on n’en avait jamais assez » : et voilà que je vous rajoute un centième paragraphe long de trois pages pour expliquer les mœurs d’une espèce qu’on ne croisera jamais au long du récit, et voici que je vous balourde encore une flopée d’informations concernant une guerre datant de plusieurs millénaires, juste pour montrer que j’ai pensé mon univers du tout début à la toute fin. Cela sonne vraiment comme une bannière déployé pour qu'on loue son imagination débordante, mais pitié ce que c'est long et lourd : vous imaginez, ingurgiter des milliards de milliards d'années en quelques pages, juste parce que l'auteur veut absolument faire l'historique de tout ce qu'il a inventé ? Non, vraiment, je n'en pouvais plus : tout ce que je voulais, c’est que cela s’arrête, qu’on en finisse, et le plus vite possible.
Malheureusement, cela dure pendant toute la première moitié du « récit ». A ce moment-là, l’auteur semble s’être soudainement souvenu qu’il était supposé écrire un roman … Alors brusquement, il nous sort une sorte de quête de derrière les fagots, quelque chose de complétement parachuté : tiens, et si je lançais ce petit gars, que j’ai présenté au début même s’il est absolument quelconque, à la recherche d’une sorte de formule magique issue des théories du complot, formule qui serait soudainement la raison pour laquelle l’autre mégalomane expansionniste voulait à tout prix ce système isolé ? Cela sort de nulle part, mais ce n’est pas grave : il faut bien lancer l’intrigue comme on peut, n’est-ce pas ? Malgré tout, j’ai accueilli cette quête avec plaisir : enfin de l’action, du mouvement, des dialogues, bref, une histoire ! Mais ma joie fut de courte durée … En effet, le problème, c'est que ça part un peu (pour ne pas dire complétement) dans tous les sens, et ça devient de plus en plus confus et désordonné au fur et à mesure que l'auteur ajoute toujours plus de rebondissements et péripéties artificielles pour prouver qu'il est aussi capable d'écrire une histoire riche. Ce n’est même plus déjanté, ce n’est même plus absurde, à ce stade : c’est juste du grand n’importe quoi. Très vite, l’auteur m’a perdu dans cette espèce de psychédélisme sans queue ni tête : complexifier, oui, d’accord, mais encore faut-il garder une certaine cohérence, une certaine intelligibilité !
Mais le pire, dans toute cette affaire … c’est bien le dernier quart, cette soi-disant « résolution de l’intrigue ». Tout ce que j’ai eu envie de hurler, c’est « non mais c’est une blague ?! ». Tout cela pour ça, c’est-à-dire absolument rien ? Cette « révélation fracassante » aurait pu être seulement frustrante au terme d’un récit convenablement bien mené, libéré de toutes ces longueurs inutiles, mais après une lecture aussi laborieuse que celle-ci, après cette espèce de simulacre de roman, elle est juste … irrespectueuse. Comme si l’auteur s’était amusé à nous appâter avec des tas de sous-intrigues qui s’entremêlent plus ou moins harmonieusement (vu qu’il n’y a rien d’harmonieux dans le récit, c’est très embrouillé), pour finalement nous lâcher nonchalamment que « finalement, je n’ai rien pour vous, je voulais juste m’amuser un petit peu à vous faire croire que j’allais vous offrir un truc croustillant ». Cette fin, ce n’est même pas un retour à la case départ – cela aurait signifié une sorte de cohérence, de linéarité – : c’est juste un vaste néant de sens. Il fallait boucler artificiellement le récit, parce qu’il faut bien poser le mot « fin » un jour ou l’autre, alors on va l’arrêter là, comme ça, avec une sorte d’aporie de la quête, et on croise les doigts pour que cela suffise. Et bien non, ça ne suffit pas, après avoir lutté aussi longtemps pour arriver à la fin du livre, j’aurai au moins espéré que cela serve à quelque chose. Mais non.
En bref, vous l’aurez bien compris, je suis particulièrement déçue par ce livre. J'ai en réalité le sentiment d'avoir perdu mon temps, et c'est d'autant plus frustrant que si l'auteur avait été plus sobre, s’il était allé à l’essentiel au lieu de se perdre dans toutes ces circonvolutions pseudo-narratives et ces imbroglios encyclopédique, il y avait vraiment de quoi offrir au lecteur un très bon récit de science-fiction. Il y avait même des éléments particulièrement intéressants, que j’aurai vraiment aimé voir plus et mieux exploités : par exemple, toute cette histoire de traque systématique et de destruction méticuleuse des intelligences artificielles (même si on n’a pas bien compris pourquoi), il y avait vraiment moyen d’en faire quelque chose, mais là, c’est juste survolé, et le seul moment où c’est évoqué, c’est pour un énième rebondissement parfaitement futile et inutile. Quel dommage ! J’ai persévéré jusqu’à la fin car je sentais qu’il y avait du potentiel derrière tout cela … mais j’ai été déçue jusqu’à la fin car l’auteur n’a pas exploité son propre potentiel. Ca ressemble bien plus à une sorte de défouloir d’écrivain qu’à un véritable roman : s’il avait envie d’écrire « du n’importe quoi » pour se détendre, je peux le comprendre, mais je ne vois vraiment pas l’intérêt d’offrir ça en pâture aux lecteurs. Un beau gâchis intergalactique, en somme ... d’ailleurs, je ne saisis toujours pas le pourquoi du titre, car nul Algébriste n’est présent.
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2022/01/lalgebriste-iain-m-banks.html
Fait partie d'une série, à lire tranquillement pour éviter la prise de tête
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