"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Ah ! Donnez-moi le vent du soir sur les prairies,
Et l’odeur du foin frais coupé, comme en Bavière
Un soir après la pluie, sur le lac de Starnberg. »
Avec ces toutes premières lignes empruntée à Valéry Larbaud, le ton est donné, délicieux, enchanteur, nostalgique. Jean d’Ormesson nous raconte, à sa façon, le dix-neuvième siècle et c’est très réussi. Son roman traverse le siècle et chacune des pages donne envie de s’y replonger.
« C'est ce que j'essayais d'entreprendre. Pour empêcher les morts de mourir tout à fait et pour qu'un peu de leur chaleur survive dans nos mémoires. »
Bon camarade, il invite à lire les auteurs anglais (Wodehouse, Kipling, Hardy, Austen) et à (re)voir les Chariots de Feu (musique de Vangelis que je sifflote en ce moment). Il glisse, à l’enterrement de Victor Hugo, une spectatrice anonyme émerveillée. « L'enfant qu'elle portait en son sein deviendra Jules Romains : il chantera mieux que personne depuis Hugo et Zola les misères et la gloire du peuple de Paris. » Délicate attention, car c’est dans le fauteuil de ce même Jules Romains qu’il s’assit en 1973 à l’Académie Française.
Ses personnages imaginaires (ce brésilien fortuné qui fait irrésistiblement penser à celui de La Vie Parisienne d’Offenbach) ou historiques (Verdi, Pancho Villa, Kitchener, Vanderbilt), les lieux (Lublin, Venise, Paris, Gstaad, New York, Pretoria, Shanghaï ou Pekin), les événements décrits (la guerre des Boers, le sac du Palais d’été ou le siège des légations à Pékin, la « course à la terre » organisée en Oklahoma) ou les anecdotes savoureuses (la reine Victoria ordonnant à ses ministres d’ «envoyer la flotte » contre le Paraguay, qui, à l’époque* était le seul état d’Amérique du Sud à ne pas avoir d’accès à la mer) composent un délicieux cocktail qui donne une furieuse envie de replonger dans le XIXème siècle qui, à le lire, avec ses révolutions, ses musiques, ses explorations, ses inventions, est le plus romanesque de tous. Je ne suis pas familier de l’œuvre de Jean d’Ormesson (c’est même, je l’avoue piteusement, ma première incursion) bien que, comme beaucoup, j’ai l’impression d’avoir bien connu le personnage médiatique. Fidèle à son image, ce roman est tout aussi charmant (les lettres, si éloignées de nos correspondances bâclées actuelles), malicieux et pétillant que le chroniqueur du Figaro ou le magicien qui réussissait à apprivoiser l’audimat armé de sa seule conversation.
Les mécanismes de la mémoire sont mystérieux. Nous lisons de bons romans, des livres profonds et parfois des chefs d’œuvre. Vingt ans plus tard que nous en reste-t-il ? Peu de choses, Il faut bien l’avouer. La plupart du temps, ne subsistent que des souvenirs liés aux événements marquants de notre vie d’alors. Ici, l’un des personnages né à Venise et mort à Moukden (pendant la guerre russo-japonaise) se nomme Nicolas Cossy. Il a lui-aussi une existence très romanesque. Impossible pour moi de ne pas garder ce personnage en mémoire car le seul autre Cossy que je connaisse est le producteur de champagne chez qui je me fournis ! On vous le dit, ce Vent du Soir est aussi pétillant que son auteur l’était. C’est une invitation (impossible à refuser) à lire la suite de cette trilogie pour faire la connaissance de Pandora dans Tous les Hommes en sont fous. Tant pis si je me doute bien que son prénom n’est pas totalement le fruit du hasard. J’imagine qu’elle va, dans ces années trente de sa fleur de l’âge, ouvrir la terrible boîte dont elle porte le prénom. Depuis Homère, le talent des écrivains transforme d’épouvantables drames en histoires légendaires et merveilleuses afin de les transmettre à d’innombrables lecteurs enchantés. La mémoire est à ce prix.
*La Bolivie ne perd le sien qu’en 1884 à l’issue de la « guerre du salpêtre. »
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