"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le coup d’État du général Pinochet, au Chili, le 11 septembre 1973, et la mort tragique du Président Salvador Allende, démocratiquement élu en septembre 1970, sont restés dans les mémoires mais il est important de ne pas en rester là, de connaître les tenants et les aboutissants qui ont plongé ce pays d’Amérique latine dans dix-sept ans de dictature.
Des milliers de personnes ont été arrêtées, torturées et beaucoup n’ont jamais été retrouvées. Alors, quand la bande dessinée signée Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta m’a été proposée par Vincent, j’ai décidé de la lire pour m’informer davantage et surtout rafraîchir ma mémoire.
J’avais été profondément marqué par cette chanson de Julos Beaucarne, Lettre à Kissinger, qui dit le supplice de Victor Jara, artiste et poète, enfermé comme tant d’autres dans le grand stade de Santiago.
En 1977, près de chez moi, j’avais pu assister au concert des Quilapayún, en exil, avec une émotion toujours intacte quand nous reprenions ensemble : « El pueblo unido jamás será vencido ! »
Tout cela, c’était après la dramatique fin du gouvernement de l’Unité Populaire mais que s’est-il passé auparavant ? Comment en est-on arrivé là ?
Les années Allende, album dont la couverture aux couleurs du drapeau chilien montre un Salvador Allende vivant ses derniers moments, raconte cela en suivant les pas d’un journaliste étasunien : John Nitsch.
Après un rappel des événements du 11 septembre 1973, les auteurs reviennent en 1970 pour retracer les mille jours de l’Unité Populaire au pouvoir.
Avant l’élection la plus importante du pays, la bourgeoisie est divisée, apeurée. ITT (International Telephone and Telegraph) et Anaconda Copper, les multinationales qui se gavent sur le dos des Chiliens en exploitant les mines de cuivre, sont inquiètes.
Si la Démocratie chrétienne est au pouvoir, elle est jugée trop tiède par la gauche et la droite lui reproche de trahir ses idées. Des trois candidats, Allende, après trois échecs, n’est pas du tout favori des sondages. Finalement, il l’emporte sur Alessandri et Tomic.
D’emblée, Allende affirme ses principes et ne variera pas dans ses convictions pour rendre le peuple heureux en lui donnant des conditions de vie décentes. Il veut vraiment vaincre l’exploitation impérialiste, mettre fin aux monopoles et appliquer la réforme agraire.
Les menaces de mort ne tardent pas et la campagne de terreur financée et orchestrée par la droite et l’extrême-droite commence et prend vite de l’ampleur.
Les dessins en noir et blanc sont vivants, sensuels même, avec la belle Claudia. Le tracé est assez précis, les ombrages rendent les visages très expressifs, traduisant l’inquiétude et le stress car violences et menaces sont constantes.
Les informations données par Carlos Reyes sont documentées avec des unes de journaux et, par exemple, cette pleine page présentant les portraits des membres du premier gouvernement formé par Allende. Au passage, je note un concert des Quilapayún, en 1971, mais la droite est prête à tout pour défendre ses privilèges : manifestations, intimidations, attentats, grève des routiers, blocages du pays...
Les mines de cuivre sont nationalisées comme l’industrie textile, les grands propriétaires sont expropriés pour rendre la terre à ceux qui la cultivent. Le 4 janvier 1971, le gouvernement décide d’offrir un demi-litre de lait par jour à chaque enfant. Thomas Huchon qui présentait son film « Allende, c’est une idée qu’on assassine », le 18 novembre dernier à Saint-Vallier (Drôme), rappelait que cette décision était la seule à avoir perduré depuis. Cela me rappelle le fameux verre de lait que j’ai pu boire chaque matin, à l’école, grâce à Pierre Mendes-France qui était Président du Conseil, en 1954.
Je pourrais détailler quantité d’informations contenues dans cette BD mais je retiens que les forces de droite et de l’argent, bien soutenues et téléguidées par Nixon et Kissinger, ont œuvré sans cesse pour abattre Allende. La peur d’un nouveau Cuba était souvent évoquée.
Parmi les forces qui auraient dû soutenir l’Unité Populaire, je note que les mouvements d’extrême-gauche ont aussi creusé le fossé pour abattre le Camarade Président, comme on nommait Allende. Fidèle à ses idées, toujours confiant en l’armée et même en le général Pinochet, il a été attaqué ; La Moneda, le palais présidentiel a été bombardé, pris d’assaut par cette même armée. Salvador Allende n’a eu qu’une issue : se donner la mort.
Enfin, je ne peux conclure cette chronique sans penser à nouveau à ces milliers de disparus, arrêtés, torturés puis éliminés. Elles et ils œuvraient pour le bien du peuple et Les années Allende vient à point leur rendre hommage, rappeler leur combat et mettre en évidence leurs réussites sans masquer erreurs et maladresses.
El pueblo unido jamás será vencido !
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2023/12/les-annees-allende-carlos-reyes-et-rodrigo-elgueta-bd.html
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