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« Volpi, Prince de la Venise moderne », de Bernard Poulet, est un essai instructif et éloquent qui relate la biographie de l’industriel et politicien Giuseppe Volpi au temps du fascisme italien, mais aussi son combat passionné et passionnant pour redonner à Venise toute sa grandeur passée. Le journaliste s’emploie avec méthode à percer le « mystère Volpi », comme l’évoque dans sa préface Jean-Paul Kauffmann. C’est un homme de paradoxes qui navigue dans les eaux troubles d’un fascisme économique. L’auteur fait marcher, en parallèle et d’un même pas, Giuseppe Volpi et Venise comme deux inséparables. Il met en lumière les efforts constants de l’industriel pour faire immerger de la lagune la « Troisième Venise » qui s’intercalerait entre ceux qui la conjuguent au passé figé et ceux qui l’imaginent au futur dévastateur. Volpi et Venise, même destinée d’une flamboyance qui finira par déchoir. Le premier pour ne pas avoir eu le temps de se disculper, la seconde pour avoir été abandonnée aux mains d’un capitalisme effréné.
Giuseppe Volpi est vénitien de naissance, issu d’un père ingénieur qui lui transmet son amour de la cité des Doges et le regret de son immobilisme qui l’enlise dans l’oubli depuis que Napoléon l’a humiliée. Parti de presque rien, le jeune Volpi connaît une ascension vertigineuse. Homme d’affaires audacieux, il commence à faire fortune avec la Régie de tabacs de Monténégro qu’il crée dans les Balkans en 1903, puis il fonde la Société Adriatique d’électricité (SADE) en 1905. Il se distingue comme diplomate, notamment en renégociant les dettes de l’Italie contractées pendant la guerre 14-18, qu’il parvient à effacer presque totalement entre 1925-1926. Il devient gouverneur de la Tripolitaine (1922-1925) et comte de Misurata, titre octroyé par le roi Victor-Emmanuel III, puis ministre des Finances de 1925 jusqu’à sa démission en 1928. Son vœu le plus cher est de propulser Venise dans l’ère du modernisme et lui faire retrouver son faste d’antan. Il lance alors l’aventure polémique du pont routier qui reliera l’île au continent au grand dam de ses opposants, puis du port industriel de Marghera (1917), et imagine le premier Festival international de cinéma (la Mostra, 1932) alors qu’il est président de la Biennale. Ce mécène et protecteur des arts qui aura autant de pouvoir qu’un Doge, mais un doge « à la chemise noire » dira la calomnie par métaphore fasciste, aura l’insigne honneur de reposer dans la Basilique des Frari à Venise, grâce aux actions de sa dernière épouse qui obtint l’accord du pape Jean XXIII.
L’essayiste Bernard Poulet parcourt les canaux de Venise depuis plus de vingt ans en homme épris, à tel point qu’il en est devenu un citoyen. Lui-même amoureux de ce chef-d’œuvre en péril, il vient, documents et témoignages à l’appui, ressusciter un compatriote de cœur oublié, un emblématique méconnu, plus complexe que ce qu’en laissent supposer les apparences, et qui se verra rejeté par les héritiers de l’Histoire commune. Le journaliste s’est attaché à décrypter l’industriel et le politicien dans un monde à la dérive, en recherche d’idéaux, mais aussi l’homme amoureux qui aura tenté de sauver des eaux mornes la Sérénissime qu’une industrie touristique a sitôt fait d’engloutir à jamais. Grâce à une incursion par thèmes, l’auteur nous replonge dans toute la première moitié du XXe siècle qui a vu la conquête de colonies, la montée du fascisme et du pouvoir de Mussolini, le rapprochement avec l’Allemagne, l’entrée en guerre, la renaissance d’une cité écartelée par les conservateurs et les futuristes. Un ouvrage tout en résonance avec les grands prix littéraires qui récompensent cette année la mémoire de ces temps-là, troubles et terribles.
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