"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
" On nous rabâche que le cinéma est un art bien qu'il repose sur un mode mécanique de reproduction. J'affirmerai, tout au contraire: le pouvoir de reproduire exactement, bêtement, est du cinéma le plus sûr privilège."
Eric Rohmer
Pour donner envie de marcher
"Crétin des Alpes", une insulte du capitaine Haddock ? Pas que ... Le crétinisme est une maladie due à un manque d'hormones thyroïdiennes qui sévit principalement dans les montagnes. Ce livre va justement nous emmener à la suite d'une expédition scientifique dans les Alpes pour ramener des crétines à l'hôpital Salpêtrière, à Paris, à des fins d'études. Le récit se situe en 1835 et décrit donc les travaux du Dr Falret, une cinquantaine d'année avant les travaux du Dr Charcot qui ont servi de base au livre "le bal des folles" de Victoria Mas (https://www.babelio.com/livres/Mas-Le-bal-des-folles/1147633).
C'est le deuxième livre que je lis sur à peu prêt le même sujet donc.
On est toujours sur le même type de voyeurisme de la bonne société de l'époque qui aime s’encanailler en allant se frotter à des folles, à des crétines.
Toujours une médecine aliéniste moderne qui, imbue de sa science, veut le bien des anormaux malgré eux (Les recherches de ses médecins ont certes faits progresser la science...). Mais cettefois, des crétines qui seront même parfois maintenues derrière des barreaux et regardées comme des monstres de foire. Et je pense que c'est ce qui m'a mis mal à l'aise : j'ai eu l'impression d'être aussi un voyeur, sentiment que je n'avais pas eu en lisant le "bal des folles"
L’insulte « crétin des Alpes » m’était connue depuis de nombreuses années même si je ne trouvais pas cela très charitable pour les habitants des montagnes car, après tout, les crétins existent dans bien des régions. Mais je n’imaginais pas que cette expression prenait en fait racine dans une réalité historique et médicale sur laquelle Antoine de Baecque revient dans ce livre passionnant et très documenté, à travers l’histoire d’Eugénie.
Eugénie Loucher a 16 ans et vit à Saint-Véran avec son père et ses frères et sœurs. La fratrie compte trois crétins et le reste des enfants est goitreux. Comme beaucoup d’habitants de ces régions. Mais en ce mois de juin 1835, c’est Eugénie qui est choisi pour être admise à l’asile de la Salpetrière, à Paris, et pour devenir, comme plusieurs autres, un sujet d’étude mais aussi pour y recevoir une éducation.
Car le docteur Jean-Pierre Falret, en charge de l’asile, se sent investi d’une mission : comprendre ces êtres différents, leur apporter de l’aide, tenter de les guérir et peut-être éradiquer ce fléau qui touche un certain nombre de personnes.
Mais ne nous voilons pas la face, le Docteur Falret n’est pas un humaniste pur. Il cherche aussi une certaine reconnaissance et à assoir sa réputation grâce aux progrès que pourraient faire les enfants qu’il a choisies. Car le sort de ces crétins, crétines en l’occurrence car seules des filles ont été sélectionnées, excite la curiosité malsaine de la population et des bourgeois. Comme cela était déjà le cas pour les aliénées qui sont internées.
Eugénie devient d’ailleurs une attraction, notamment au cours de ce fameux bal des folles organisé chaque année et qui met en scène les internées de l’hôpital sous les yeux curieux et scrutateurs d’un public voyeur.
Mais le déracinement de ses montagnes natales s’avère néfaste pour Eugénie, comme pour ses petites compagnes, qui ne répondront jamais aux attentes du médecin. Celui-ci s’oppose bientôt à son fils, Jules, qui s’est attaché à Eugénie et n’est pas d’accord avec les méthodes de son père.
Ce livre est bref, comme la vie d’Eugénie. Mais que de tristesse contenue dans ces pages. Que le destin d’Eugénie est dramatique et inhumain.
Antoine de Baecque écrit l’histoire de manière très factuelle, mais le lecteur lira entre les lignes toute l’injustice liée au sort de la jeune fille ainsi que de toutes celles qui ont dû subir des internements souvent synonymes de traitements violents.
Et tout cela parait d’autant plus vain et cruel, qu’on a finit par découvrir que la maladie dont souffrait Eugénie n’était due qu’à une carence en iode et que peu de chose aurait pu faire basculer sa destinée.
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