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L’un des titres les plus sibyllins de la rentrée nous vient des Éditions de La Baconnière avec un auteur soviétique, Andreï Sobol, Андрей Со́боль, de son vrai nom, Yuli Mikhailovich (Israel Moiseevich) Sobol. Fanchon Deligne, traductrice et préfacière du court récit, nous apporte un éclairage salvateur sur cette œuvre hors du commun, très curieuse, qui se démarque de tout ce qui a été publié en cette rentrée, comme lors des rentrées précédentes d’ailleurs. Le Panopticum a été écrit au début des années 1920 par cet auteur russe sortant juste de prison, après avoir passé des années à œuvrer fiévreusement pour des causes politiques et sociales – la révolution, le sionisme – avant de se donner la mort, moralement à bout de force, en 1924.
Qu’est-ce un panopticum, en premier lieu ? Fanchon Deligne nous indique qu’en français le mot latin est rendu par « musée de figures de cire » mais que les panopticum russes s’écartaient de cette définition un peu trop restrictive. Développés au début du XXe siècle en Russie, « ils ont pour vocation de faire découvrir au public l’étonnante diversité de la nature et de la vie humaine » à travers la collection d’objets hétéroclites. Le Panopticum d’Andreï Sobol, c’est une collection de personnages originaux, invraisemblables, uniques, qu’on trouvera listés en avant-propos divisés en deux catégories : les représentants du Panopticum d’abord, les membres de la communauté des anarchistes égocentristes ensuite. Soit les Anciens, les figures originelles, face aux Nouveaux ou Modernes, les nouveaux membres du Panopticum. Loin de se réduire à une simple collection d’absurde et de bizarreries, la date de composition de ce texte est à rapprocher aux évènements en cours dans l’espace soviétique, d’autant que le militantisme d’ Andreï Sobol n’était pas du genre mou et tiède.
Le Panopticum est divisé en cinq chapitres, qui peuvent se lire indifféremment dans l’ordre proposé, ou non. Le Panopticum est implanté dans la ville de Krasno-Selimsk, anciennement connue sous le nom de Tsarevo-Selimsk, une ville que l’on suppose imaginaire (rien n’indique sur le net qu’elle ait réellement existé), mais qui a le mérite de planter le contexte inhérent à ce musée des bizarreries, puisque nommée initialement Tsarevo (ville du Tsar), le récit indique qu’elle a été rebaptisée sous le nom de Krasno-Selimsk ( Krasno étant l’adjectif rouge en français ), « Les Rouges ont frappé le Tsar par derrière ». Ce premier chapitre débute par un portrait de cette ville qui pourrait être n’importe quelle autre ville post-révolution, avec ses artistes, ses vieux, ses jeunes gens, un portrait de cette Russie impériale qui court inexorablement à sa perte.
L’entrée en matière est monstrueusement exquise, avec ces descriptions de la section femme venant d’être fermée pour cause de libertinage et avec une inspection de ce qu’il contient – le moulage d’un ulcère syphilitique – la femme est un animal comme un autre, qu’il convient de disséquer afin que l’homme commence à la comprendre. Ce qui n’est pas forcément évident puisque Marguerite, membre du personnel, possède un cœur à droite. À côté des membres du personnel tout humains qu’ils soient, il y a les êtres inanimés, de cire ou de boulons, qui rapporte à ce musée de l’étrangeté une bonne couche d’exotisme, rappelant d’une manière ou d’une autre les prises de positions de la Russie rouge face à la « tétanie blanche » qui paralyse la ville. Voilà ce Boer automate qui rappelle les pays sud-africains qui s’opposèrent aux colons britanniques. De l’exotisme rapporté comme des trophées de toutes ces références aux nations lointaines, l’Afrique du Sud précédemment citée, la République de Venise à travers l’évocation d’un insurgé, le Tyrol autrichien, et notre chère Marie-Antoinette symbole incontournable de notre propre révolution. Nous avons bien heureusement tout ce petit monde en ombre chinoise au début du livre pour nous donner un début d’indice sur ce drame qui se joue entre deux portraits biscornus et insolites.
Un Panopticum bien politisé, un langage martial, qu’il faut déchiffrer, des codes qu’il faut décrypter – et on ne remerciera jamais assez Fanchon Deligne de nous avoir donné les clefs pour ouvrir certaines portes – qui permettent de donner un sens à ce drôle de cirque, la galerie d’Andreï Sobol, où sont réunis les éléments de la Russie tsariste qui se prend la révolution en plein fouet, d’un côté, et les révolutionnaires bolcheviques de l’autre. Dans cette histoire fantastiquement décalée, ces révolutionnaires qui deviennent des anarchistes-égocentristes (terme inventé par Sobol), où le chef du groupe, fait perdre incidemment sa tête à Marie-Antoinette : on ne peut pas ne pas apprécier la révolution française refaite à la sauce russe d’Andreï Sobol. (....)
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