"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Si je voulais des mots là où on ne les attend pas, je lirais Andrea Abreu.
Je lirais les mots de Shit, surnom de la jeune héroïne de ce roman. "Parce que la merde, c'est beau comme le brouillard entre les pins".
Je lirais ces mots-là, je les laisserais s'inscrire dans mon temps, dans ma peau, doucement et puis violemment, et puis tendrement, et puis c'est quoi le monde, hein, sinon ces émotions par vagues, par flots, qui balaient tout.
Surtout l'enfance.
Surtout l'amour.
Parce que Shit, elle l'aime Isora. D'une ambiguïté que leurs dix ans respectifs ne sauraient démêler. Amies pour la vie.
A l'enfance, vient se heurter la violence du monde. de l'adulte. La violence de découvrir trop, et trop vite, et trop fort.
Je lirais ces mots-là, et je vous glisserais au passage qu'Andrea Abreu est poète. Pas de doute. Cette puissance d'évocation, cette habileté à jongler, à surprendre, à gifler aussi, sans misérabilisme, sans excès de vulgarités, elles n'appartiennent qu'aux poètes...
Son rythme est celui d'une virtuose. La musicalité de ce livre ne m'a pas convaincue. Elle m'a enchantée.
Voilà donc ma première incursion en matière de littérature originaire des Iles Canaries. Vous comme moi connaissons ces îles volcaniques, y êtes-vous peut-être déjà allés d’ailleurs. Andrea Abreu signe un premier roman sur la fin de l’enfance et l’entrée dans l’adolescence, dans un petit hameau de ces îles, bien loin des plages de sable blanc et des riches complexes hôteliers.
Telle une vraie immersion dans le quotidien de la surnommée Shit, une gamine de 10 ans. On y vit les moments partagés avec sa meilleure amie, Isora, entremêlés avec les joies, les peines, les premières découvertes notamment sexuelles, les faiblesses, la fin de l’innocence infantile. Élevée par sa grand-mère la plupart du temps puisque ses parents travaillent dans le domaine touristique, Shit se cache bien souvent derrière cette amie si extravertie et solaire. Cette amitié fusionnelle mais toxique en vient aux premiers émois, aux premières déceptions. Petit à petit, les esprits s’échaufferont, comme la nature volcanique de l’île, au risque de l’explosion.
Ce qui pourra surprendre plus d’un lecteur est le style d’écriture. C’est Shit, une gamine de 10 ans qui nous conte son histoire et celle du petit hameau où elle grandit. L’écriture est telle qu’elle pourrait la raconter à haute voix. Écrite à la première personne du singulier, cette enfant ne manie pas encore toutes les subtilités de vocabulaire et ce qui pourrait paraître pour des erreurs est, en fait, une appropriation du langage qu’elle pourrait avoir.
Souvent vif et spontané, le phrasé est parfois dépourvu de ponctuation mais cela donne de la substance à l’histoire et au livre en général. Ayant été moi-même une petite fille, certains passages ont fait écho en moi de ces amitiés que l’on pense éternelle mais qui au final, nous empoisonnent plus qu’autre chose. Shit présente les contradictions de la gamine qu’on voudrait secouer pour qu’elle comprenne la vie et en même temps, qu’on voudrait protéger contre les duretés de la vie.
On est souvent aveuglé par le « faste » de ces îles et on en oublie le simplisme de vie qu’il peut exister loin des regards. Au détour des petites ruelles brûlantes et poussiéreuses, on croise ces petites gamines dont les yeux fourmillent de mille et une aventures dont Andrea Abreu nous a livré un court pan de vie mais tellement intense.
Dans un coin des Canaries, Isora mène son monde à la baguette et surtout Shit, sa meilleure amie, qu'elle surnomme ainsi car "la merde c'est beau comme du brouillard entre les pins"!
Elle est orpheline et vit avec sa grand-mère, une vieille femme sans coeur, vulgaire et agressive, qui tient l'épicerie du quartier.
Shit quant à elle vit avec sa grand-mère, son oncle et ses parents, ces derniers travaillant toute la journée au service des touristes logeant dans le gîte au bout du hameau.
L'amitié qui existe entre elles deux est forte mais toxique. Shit est en admiration devant Isora. Elle ferait tout pour lui plaire, pour la satisfaire, pour lui ressembler rien qu'un peu... Elle l'aime, tout simplement et la frontière entre l'amitié et l'amour est assez ténue.
A l'aube de l'adolescence, elles vivent ainsi leurs premiers émois, bien durement, à l'image de ce qu'est leur vie dans ce quartier, où aucun espoir, aucun rêve d'ailleurs n'est possible, où tout est misère et saleté...
Livrées à elles-mêmes, elles passent leur temps à traîner les rues, gueuler sur les chiens plein de puces, observer le ciel lourd et gris et attendre qu'il éclate...
Et évidemment à un moment donné ça éclate...
J'ai beaucoup aimé cette lecture qui m'a désarçonnée au premier abord car l'écriture est particulière. L'auteur utilise un langage adolescent, vif, corrosif, naïf, parfois sans ponctuation, les phrases peuvent parfois être alambiquées, mais au final cette écriture sert parfaitement le propos et colle tout à fait au personnage de Shit. Shit, que j'ai eu envie de bousculer, de rassurer, de materner car elle m'a beaucoup touchée.
C'est un beau roman sur le passage de l'enfance à l'adolescence, sur l'amitié et ses blessures, sur les sentiments et la manière de les exprimer.
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