Des romans, livres de recettes et BD pour se régaler en famille !
Lorsque j'ai commencé la lecture de ce titre, je venais de finir de visionner la série La fille d'Oslo, disponible sur Netflix (très intéressante sur le plan géopolitique, mais elle reste très orientée, d'autant que la réalisation est israélo-norvégienne), qui a pour cadre politique, le conflit israélo-palestinien. J'avais ainsi encore l'esprit au Moyen-Orient, ça a tracé pour moi une certaine continuité de lire ce texte libanais qui évoque non seulement Israël et ses antagonismes avec ses voisins, mais aussi la Russie et l'Ukraine. S'il y a bien une chose que ce récit aide à faire comprendre, c'est toute la complexité du conflit, qui finalement englobe tellement d'autres intérêts que ceux des Israéliens et des Palestiniens.
Les choses commencent en fanfare avec un enlèvement de la part du Hezbollah – parti et mouvement militaire musulman – qui fait du Liban un pays en guerre, à nouveau. La paix était presque redevenue un état normal pour ce pays déjà durement et longuement touché, avec une jeunesse presque insouciante, libre de déambuler et d'aller déguster ce que bon lui semble. En un claquement de doigts, l'état de paix, quoique fragile, est révolu, l'état d'urgence s'impose, la fuite, pour ceux qui le peuvent, est à l'ordre du jour. Car c'est bien dont il s'agit ici, la fuite d'un pays – dans ce bus surmonté d'un drapeau russe qui orne la couverture -, la fuite d'un conflit, une fuite sur les chapeaux de roue de la persécution armée, religieuse ou morale.
La prise de conscience a du mal à se faire : la narratrice, dont la mère est russe et qui a grandi avec la langue russe, est comme sidérée. Il faut les bombardements, les avions israéliens pour qu'elle réalise que la vie normale n'est plus un vague souvenir et pour qu'elle entame cette fuite en avant vers la Russie. C'est un cheminement, aussi psychologique que matériel, elle laisse derrière elle sa vie entière de façon assez violente. Cet itinéraire revêt à mes yeux une dimension métaphorique, ce passage d'une vie à une autre, de cet âge de la jeunesse insouciante à une gravité mature : ils se saisissent de la route secondaire à travers les montagnes pour rejoindre l'aéroport, la route principale ayant été détruite par les bombardements israéliens. Il suffit d'à peine vingt pages, une journée à peine, pour devenir un réfugié. Cette prise de conscience passe par un retour en arrière dans l'enfance, avec le retour dans sa vie d'Ali, un ancien camarade de classe, aux racines ukrainiennes. Cet Ali qu'elle rencontre n'est plus l'enfant qu'elle connaissait, cette prise de conscience s'identifie comme le point sensible du roman, car si Ali fuit le Liban, le pays auquel il est profondément attaché, ce n'est pas seulement par la faute des bombes qui frappent le pays.
Cette fuite n'est pas seulement celle d'Ali ou de la narratrice, c'est aussi celle de Maria, sa soeur, mariée à un homme trop rigoureusement islamisé, maintenue contre son gré dans ce que l'auteure nomme « le foyer de l'obéissance ». La résurgence de la religion et son influence dans la sphère intime est au coeur même de ces vies fuyant l'oppression dont les croyances religieuses est le fondement même. Une fuite loin du conservatisme et de l'intégrisme, loin du manichéisme de cette guerre aussi, ou il faut être soit juif et israélien d'un côté, soit musulman et palestinien ou libanais de l'autre, l'entre-deux étant inexistant dans ce traditionalisme obtus. En Ali, et en moindre mesure, la narratrice, l'auteure montre du doigt ceux qui n'appartiennent ostensiblement à aucun des deux camps. Et à cette impossibilité de se définir ou s'identifier par une appartenance à l'un des belligérants. le prénom Ali est d'origine arabe, lui-même est libanais, sa mère est originaire d'Ukraine, et sans oublier d'autres éléments issus – ou non – de la transmission familiale, sa réelle identité finalement reste difficilement dicible.
C'est un court roman, dont la forme privilégie le flux continue de mots aux chapitres : il met en exergue deux personnages aux antipodes l'un de l'autre. Si la narratrice, dont on ne saura jamais le nom, est le personnage secondaire, elle a surtout pour but de révéler les enjeux que porte la nature d'Ali et sa famille, pas seulement sa mère mais aussi sa soeur, et son identité composite, qui constitue un paradoxe à elle seule, et son avenir, somme toute, assez sombre qu'il soit au Liban ou en Ukraine. J'ai beaucoup aimé ce texte qui est d'un franc-parler salutaire, avec une écriture qui semblerait presque spontanée, directe et franche, tout en économie de détails superflus, et cette vision assez réaliste de ce conflit et de la montée inexorable de ce conservatisme au Moyen-Orient.
Court texte particulièrement vif et incisif. On ne s'y ennuie pas, Alexandra Chreiteh usant d'un ton léger, ironique et mordant pour décrire des situations graves et tragiques. Ses premières phrases sont très explicites quant à l'ambiance voulue : "Le 12 juillet 2006, on apprit que le Hezbollah avait kidnappé deux soldats israéliens à la frontière. Ce qui ne nous empêcha pas d’aller manger des sushis. On finissait tout juste de déjeuner quand Israël déclara la guerre au Liban. Les employés du resto se dépêchèrent de fermer et nous demandèrent de partir tout de suite. On partit tout de suite, sans payer l’addition. Coup de bol, on avait choisi un des restos les plus chers du centre de Beyrouth." (p.5)
Le reste ne détonne pas, la jeune narratrice allant au plus direct, ne s'embarrassant pas de détours lorsqu'elle peut aller en ligne droite. J'ai beaucoup aimé ce texte fort et puissant qui raconte des faits violents -la guerre fait rarement dans la douceur- comme il pourrait le faire de notre quotidien. Cet extrait qui suit peut déranger, surprendre et faire rire ou sourire, et pourtant le pire y est écrit : "Je passai ensuite à la petite épicerie voisine, où je m’aperçus que les rayonnages étaient presque vides. Je pris un pack de quatre litres d’eau, un paquet de biscottes, une barquette de fromage à tartiner, et je m’approchai de l’épicier pour payer quand mon regard fut attiré par le petit téléviseur qui diffusait devant lui les dernières images des bombardements, et où apparut brièvement juste à ce moment-là le corps mutilé d’une enfant ; je me retournai, ouvris le frigo derrière moi, et attrapai une autre barquette de fromage à tartiner." (p.11/12)
En peu de mots, Alexandra Chreiteh parvient à décrire la difficulté de vivre dans un pays en guerre, de vivre dans un pays dans lequel la position et le statut de la femme ne sont pas très enviables, dans lequel il est impossible d'avouer son homosexualité -l'ironie du sort est de fuir en Russie où les homosexuels sont régulièrement agressés. Tout ce qu'elle décrit passe par les dialogues entre ses personnages, leurs attitudes, cette fuite en car étant révélatrice de leur personnalité, de leur for intérieur. L'auteure se moque de ses créatures fictives, la jeune narratrice ne se révélant pas sous son meilleur jour ni son ami Ali ni même les autres passagers du car. Tout passe par le filtre décalé et satirique de l'écrivaine qui semble ne rien respecter, et surtout pas la société dans laquelle elle évolue. Une satire sociale décalée et impitoyable. J'adore.
Très bien fait, ce court roman se lit vite quasiment sans faire de pause. C'est le deuxième à paraître dans la nouvelle maison d'édition Perspective Cavalière qui propose un livre très soigné et une couverture magnifique, très Tintinesque.
PS : je ne le fais pas souvent, mais cette maison d'édition qui débute n'est pas encore distribuée partout, donc si ce livre vous intéresse, ce qui est une bonne idée, voici le lien pour vous le procurer : Prespective cavalière.
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