"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"L'ennemi du genre humain", c'est bien ce semble être, à n'en pas douter, le chevalier de Saint-Sauveur, héros (ou plutôt anti-héros ?) de "l'Ombre des Lumières", scénarisée par Alain Ayroles, bien connu pour la série "De cape et de crocs" et plus récemment des superbes "Indes fourbes".
Cette fois-ci, ce ne sont pas les romans picaresques du 17e ou les rêveries de Cyrano de Bergerac sur les "Empires de la lune" qui sont à la source de ce dernier opus mais plutôt le XVIIIe siècle avec des auteurs comme Sade ou Choderlos de Laclos. Il s'agit en effet de montrer les affres du vice pour que la vertu en sorte triomphante (pour la plus grande délectation des lecteurs en réalité) et tout cela à travers une relation épistolaire découverte dans le tiroir d'un mystérieux secrétaire, à la mort du chevalier de Saint Sauveur à l'époque de la Terreur.
L'intrigue opère donc un retour en arrière, se déroulant en 1745 d'abord puis huit ans plus tard. On y voit à l'oeuvre les manigances de St Sauveur et de Mme De Féranville pour ruiner la réputation de l'une ou de l'autre. Dans un second temps, entre en scène un jeune Iroquois, dont le retour au pays natal, en Nouvelle France (autrement dit le Canada de l'époque) sera je pense, le centre du prochain tome. C'est en effet sur un navire en partance pour ce nouveau monde que nous laissons nos personnages à la fin du récit. A travers ce personnage de "sauvage étranger", on retrouve l'esprit des "Lettres persanes" de Montesquieu, ses remarques (faussement) naïves sur la société du XVIIIe étant une façon de dresser un tableau critique de la vie à la Cour.
J'ai à nouveau beaucoup apprécié la façon dont Ayroles fait sienne et manie la langue du 18e siècle, on sent le plaisir qu'il prend, c'est un régal ! que ce soit dans le langage le plus châtié, les insultes, l'ironie féroce ou les propos plus lestes, on a sous les yeux "le verrou" de Fragonard, les pages de Laclos ou encore des scènes du film "Ridicule" (les gros plans sur certains visages blanchis à la craie et emperruqués, tellement caricaturaux dans leur laideur morale m'ont évoqué ce film). De plus, comme dans "les Indes fourbes", on sent une intrigue complexe et diablement bien ficelée, j'ai déjà fait des retours en arrière de quelques planches pour déceler un indice de ce que je supposais devoir se passer... je trouve que pour un tome d'introduction, l'action est bien lancée !
Enfin, un petit mot sur la beauté des dessins, qui contribuent au plaisir de la lecture... la BD est vraiment superbe, en témoigne déjà la couverture.
En espérant que la suite soit à la hauteur de l'horizon d'attente posé avec ce premier tome !
Eunice de Clairfont, tête pleine et agréable à l'œil, est bien malgré elle devenue l'objet de convoitise du plus impudent des hommes, le triste Chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur.
La dame, épouse fidèle mais esseulée, est passionnée de sciences et de lettres, ce qui en cette année 1745 n'est pas au goût de tous.
Elle fait, lors d'une promenade, la rencontre du Baron de Féranville avec lequel elle partagera esprit et passions, et s'en confiera à sa bonne amie Mme de Chevreuse, tout comme Saint-Sauveur se confie à Mme de *** sur ses plans machiavéliques.
Leurs destins se croiseront, se déferont, pendant qu'à la cour de Louis XV on chuchote.
La correspondance noire et avilie d'un homme aux dessins perfides qui n'a de cesse de se complaire du mépris d'autrui et de méfaits incessants se vera parvenir puis choir.
Parfaite illustrations des mœurs du XVIIIe entre bourgeoisie de province et arrivistes de Cour, l'esprit tortueux et fourbe, à l'image du splendide secrétaire aux multiples tiroirs cachés sont retrouvées ses lettres, de l'homme qu'on déteste d'emblée est raconté magnifiquement par Alain Ayroles (Les Indes Fourbes, les géniaux De Cape et de Crocs).
L'homme de lettres nous en partage ces lignes, avec tout le poison, la luxure et les turpitudes de l'époque, ou l'on passe aisément de chasseur à proie, ou les destins se calculent et ou la fourberie fait loi entre vice, vertu et perruque poudrée.
Un air de Liaisons Dangereuses flotte entre les pages de cet album passionnant.
C'est cette fois Richard Guérineau à ses côtés qui nous gratifie d'un dessin précis et raffiné, parfait dans ses ambiances et ses intentions, illustrant un classicisme nécessaire mais loin d'être triste ou ennuyeux, bien au contraire !
Les amateurs d'art y verront des références à la peinture galante du XVIIIe. L'esprit de libertinage des toiles des grands maîtres de l'époque est parvenue jusqu'à lui sans conteste !
Vivement la suite de ce triptyque haletant.
Cet album était très attendu car l'on se demandait ce qu'aller donner la collaboration du prolixe scénariste Ayroles et de son nouveau complice Guérineau, spécialiste lui aussi des fictions historiques notamment grâce à ses adaptations des romans de Teulé.
L’histoire se déroule au mitan du XVIIIe siècle. L’on suit les pérégrinations du chevalier Justin Fleuri de Saint Sauveur, hobereau désargenté et véritable roué, qui l’emmèneront de châteaux de province à la cour de Louis XV puis en Nouvelle France. L’album est composé en deux volets : une « première partie » qui constitue une sorte de prologue et se déroule sur six mois en 1745, puis une brusque prolepse sur deux pages qui se passe en 1754 et une « deuxième partie » qui prend place quelques mois plus tôt en 1753. Ainsi le lecteur est surpris par le flashforward et s’interroge grâce aux ellipses.
Le choix de l’épistolaire permet un renouvellement de la narration traditionnelle en bande dessinée. En effet, l’album est découpé en chapitres, chacun composé d’une lettre de l’un des protagonistes.Cette composition déconcertante permet de cultiver l’inattendu et l’ambigu en créant un récit à tiroirs … tiens tiens comme le fameux secrétaire à cylindre en bois de satin qui orne la première page où sont enfermées les lettres qui constituent la matière du récit. Cette polyphonie narrative permet de multiplier les points de vue mais aussi de sonder les émotions des personnages, de les approfondir davantage qu’avec de simples phylactères et crée un véritable plaisir du texte.
Les nombreux clins d’œil culturels contribuent aussi à délecter le lecteur et créent un sentiment de connivence. Ayroles renoue avec les codes littéraires de l’époque en faisant précéder son roman graphique d’un « avertissement de l’éditeur » qui prétend -comme celui des « Liaisons dangereuses » de Laclos- faire planer le doute sur le côté fictionnel des lettres. Il inclut, de même, une « préface » d’un « rédacteur » anonyme qui, à la manière de l’abbé Prévost et son alter ego « l’homme de qualité » dans le texte liminaire de Manon Lescaut, narre la genèse supposée du récit. Le scénariste use, enfin, de l’artifice utilisé par ces œuvres majeures du XVIIIe pour éviter la censure et se doter d’un vernis de respectabilité, dans la quatrième de couverture, en prétendant publier les lettres pour exposer le Vice et faire triompher la Vertu. Il se livre donc à de véritables pastiches littéraires.
Mais le tour de force des deux complices c’est de jouer de la citation artistique au sens large. On trouve des références picturales : Watteau, Boucher, Fragonard ; Guérineau lui aussi connaît ses classiques ! Un épisode fait également un clin d’œil à la mise en scène hiphop des « Indes Galantes » de Rameau par Clément Cogitore; on observe même un hommage à Tintin dans la page de l’explosion de la machine de Leyde puisque les personnages devenus très ligne claire l’espace d’une case sont surmontés du petit tourbillon cher à Hergé.
Ayroles, grand cinéphile, a eu l’idée de sa série en regardant l’adaptation par Frears des Liaisons et il reprend chez lui la métaphore du théâtre et la scène iconique d’ouverture et de clôture du film au détour d’une page : comme on assistait à la préparation de Valmont-Malkovich, on y voit le chevalier de Saint Sauveur poudrer son visage, placer ses mouches, enfiler son postiche comme un acteur de théâtre. Hypocrite et acteur n’ont-ils pas la même racine ?
En lisant « L’ennemi du genre humain », on ne peut s’empêcher de penser à Hitchcock qui disait "The more successful the villain, the more successful the picture" (NDLR : quand le méchant est réussi, le film l’est aussi). Or, le chevalier de Saint Sauveur à l’ironique patronyme et au prénom sadien est un vrai méchant et qui plus est le héros de l’histoire ! On adore le détester. Dès la couverture, on remarque ce prédateur, « ombre » noire et massive soulignée par le vernis sélectif, qui se projette sur la scène lumineuse au centre de laquelle se tient une jeune femme à la blondeur angélique. Le lecteur, témoin de ses plans machiavéliques, se demande constamment quel va être son prochain forfait et ne peut s’empêcher de goûter sa pratique de la double entente et de l’épigramme tout en attendant son châtiment… Ce chevalier désargenté devient finalement un héros picaresque comme le gueux des « Indes Fourbes » et nous entraîne tambour battant dans un récit d’aventures dépaysant doublé d’une critique sociale.
Enfin pour terminer, force est de constater que l’éditeur a songé au plaisir du lecteur en lui proposant une édition en grand format, couverture entoilée, avec pages intérieures reprenant en motifs d’indienne (qu’on nomme toile de … Jouy !) les principaux épisodes et qu’on ne peut qu’apprécier le soin apporté à la réalisation de ce beau livre.
Oserais-je donc écrire que cette histoire pleine de verve que je ne déflorerai pas davantage est bien troussée et jouissive ? Merci Messieurs !
Seconde moitié du XVIIIe siècle, un nouveau courant de pensée émerge, Les Lumières. Elles feront connaître ce siècle comme étant Le Siècle du même nom. Des personnalités savantes, des philosophes tels que Diderot, Voltaire, Rousseau ou Montesquieu voulurent montrer que leurs pensées pouvaient enfin sortir la société de l’obscurantisme.
Mais un personnage va mettre de l’ombre sur ces Lumières, le chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur. C’est à travers sa correspondance adressée à une certaine madame de *** qu’il va dévoiler son vrai visage, que tous ses proches ignorent.
Saint-Sauveur n’a qu’une seule idée en tête, pervertir la jeune et très belle Eunice de Clairfont, pourtant toute acquise à la morale et à son mari.
Pour arriver à ses tristes fins, il est prêt à jouer et à utiliser tous les stratagèmes qui viendront à son vil esprit retors. C’est ainsi, à travers une narration à la première personne du singulier, que nous prenons connaissance de la stratégie qu'il va volontairement adopter, mais également des ressentiments des différents protagonistes impliqués malgré eux, ou pas, dans cette affaire.
Voici donc le très intéressant procédé épistolaire choisi par Alain Ayroles et Richard Guérineau pour nous permettre de découvrir, de façon très originale, cet “Ennemi du genre humain”.
C’est croustillant, c’est époustouflant, c'est truculent, ce n’est pas toujours ragoûtant, mais c’est un véritable plaisir que de se plonger dans une lecture dont on ressent qu’elle a demandé un travail incroyable à ses auteurs.
Le verbe et la verve sont présents, parfois même accompagnés par la verge du chevalier. Un bel homme dont les actes noircissent le personnage, mais également tous celles et ceux à qui il ose s’attaquer.
Récit véridique, récit inspiré, récit inventé, peu importe la provenance et l'inspiration. Pour peu que l’impression de véracité soit là et qu’elle nous donne envie de maudire cet infâme et ombrageux chevalier.
Mention spéciale pour la très agréable texture de la couverture et pour l’attention apportée aux deuxième et troisième de couverture habillées d’une toile qui porte parfaitement sa dénomination de Jouy.
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