"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les éléments dont je me souviens avec précision :
fascination pour la frontière théâtre/réalité dans Pirandello, et notamment dans Ce soir on improvise : comment installer cette zone de vertige, jouer avec cette frontière ma réticence au théâtre comme rituel, et pourtant la valorisation symbolique de la parole qui s´y établit : ce qui me plaisait le plus, dans le travail au CDN Nancy ou au CDR Tours, c´était d´écrire dans la salle vide, de monter sur le plateau vide, l´imaginaire spatial qui en découle donne corps à la parole, on n´écrit pas, on se saisit de linéaments matériels du dire avoir souvent pratiqué des lectures avec les spectateurs directement sur le plateau, se souvenir qu´un des textes les plus radicaux de Cervantès, Le Rétable des merveilles montre une assemblée de spectateurs interrogation permanente sur ce qu´on a à dire et pourquoi on le dit : l´allocution de Saint-John Perse au Nobel c´est l´interrogation sur le statut de la langue poétique face à la science, qui est-on quand on redit à son tour ce texte ?
Souvenir aussi des conditions matérielles : je fais un stage d´écriture de 5 jours avec des enseignants marocains de français, ils sont venus de lycée d´un peu partout dans leur pays, j´ai apporté avec moi mes auteurs les plus centraux pour l´atelier d´écriture (Gracq, Artaud, Simon, Perec, Roubaud...) mais à mesure que le stage avance les questions liées ici à la langue et son statut s´imposent comme première recherche... Je dois repartir le samedi matin, je suis dans un hôtel moderne, pas spécialement luxueux, disons "normalisé" mais le balcon de la chambre donne sur cette point où se rejoignent la Méditerranée et l´Atlantique. J´ai pu faire quelques balades dans la ville, mais ce jour-là je reste dans ce sentiment de suspension, quelque part vers le 5ème étage, à cette pointe de la mer, dans le déroulement lent du jour. J´ai avec moi mon Mac portable (je ne sais plus quel modèle : sans doute PowerBook 180 écran noir et blanc), et j´écris ce texte d´une traite, ligne après ligne, comme si tout découlait naturellement et dans une grande tranquillité, qu´il n´y avait rien à corriger ni à reprendre. Le soir, je suis aux deux tiers environ. Le lendemain, j´ai correspondance d´avion à Casablanca, une attente de 2 ou 3 heures, c´est là, sur un banc de la zone de transit, que je rédige le dernier tiers.
Le texte sera édité ensuite par Lucien et Micheline Attoun dans la collection Tapuscrits de Théâtre Ouvert, la même qui a accueilli au départ La nuit juste avant les forêts de Koltès et, grâce à Lucien encore, mise en onde à France Culture (mais je n´en ai pas de trace audio, c´était encore l´époque des cassettes).
Le voici à disposition, sait-on : juste, pour moi, cette idée de plateau dans l´avant-représentation, de frontière jeu/réel, et le souvenir de cette journée de grand silence à Tanger, avec écriture continue.
FB
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