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#Un livre, une question : Pourquoi sommes-nous si sensibles à la voix ?

#Un livre, une question : Pourquoi sommes-nous si sensibles à la voix ?

L’émotion suscitée par la mort de David Bowie et de Prince le prouve : quelque chose de profond, d’intense, nous attache à certaines voix, qui fait qu’on revient toujours vers elles et qu’on souffre quand on en est séparé. Comment cela s’explique-t-il ? A quoi tient ce pouvoir que la voix, ou la musique, exercent sur nous ?

Pour le savoir, nous sommes allés interviewer les auteurs du livre Les clés de la voix  qui vient de paraître aux Editions de Fallois

 

 

L’homme est né « sans voix ». Ce n’est qu’au Paléolithique, dites-vous, que la voix lui est venue. C’est pour le moins étonnant…

Alfred Werner : Il a fallu d’abord que le larynx puisse produire un certain nombre de sons et qu’il arrive à l’endroit où il est placé. Il a fallu ensuite l’expression du fameux « gène fox » qui permet à tout animal d’avoir une voix. On le retrouve chez les oiseaux, chez le pinson notamment, qui a une variété d’appels extraordinaire. Parce qu’il est capable de moduler sa voix, le pinson peut, par exemple, courtiser sa femelle à distance. C’est le gène fox qui rend cela possible. Il se trouve qu’on a retrouvé « fox » dans de l’ADN prélevé dans une grotte en Espagne. C’est comme cela qu’on a pu dater l’apparition, chez l’homme, de « fox » — et donc de la voix. Attention : je parle ici seulement de la voix : pas de la parole, ni du langage. C’est un autre débat.

 

Les critères d’appréciation de la voix varient, précisez-vous, selon les cultures et les sociétés. En Inde, par exemple, les voix aiguës marquent la tristesse, et les voix graves la joie, contrairement à chez nous…

AW : C’est purement culturel. Il en va de même pour les couleurs. Le bleu, par exemple, a pendant très longtemps été considéré en Europe comme une couleur de mauvais augure, contrairement au rouge. Ce qui n’était pas le cas ailleurs. Il y a des voix qui expriment une chose à un endroit du globe, et expriment tout à fait autre chose à un autre endroit.

 

On associe des caractéristiques physiques aux voix qu’on entend, écrivez-vous. Quand on rencontre en chair et en os une personne qu’on avait eue au téléphone, il nous arrive souvent d’observer un décalage entre l’image qu’on avait projetée et son physique réel…

AW : C’est l’effet de la sélection naturelle au long cours. Si certains messieurs attirent certaines dames, c’est parce que la nature a sélectionné au très long cours les mâles dominants avec une voix d’un certain type.

 

Et c’est toujours le même type de voix…

AW : Oui. En revanche, les femmes modifient leurs voix, à la demande, en fonction du type de mâle qu’elles rencontrent.

 

Seulement les femmes ? Pour séduire, les hommes font aussi leur voix de velours…

AW : C’est vrai, mais ils ne varient pas. Aussi étrange que cela puisse paraître, les femmes, elles, varient, beaucoup.

 

A quoi tient le plaisir que nous procurent la voix et la musique ?

AW : Cela dépend de notre culture, de notre éducation. Cela dépend aussi de la façon dont le système entre notre oreille, notre cerveau et nos cordes vocales a été réglé.

 

Pour chanter juste, il faut, au départ, avoir une bonne oreille ?

Laurence Laccourreye : On n’a pas besoin d’une audition parfaite.

AW : Pour pouvoir chanter correctement, il faut savoir retenir une note. Or cela n’est pas donné à tout le monde.

 

Cela ne peut pas s’apprendre ?

AW : Malheureusement non : c’est inné, c’est quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. Et puis, il y a des gens qui retiennent non seulement la note, mais l’endroit exact où elle est — sa fréquence, son intensité, son timbre exacts. Ils peuvent le faire pour dix, vingt, trente, cinquante, cent notes… ou quelques milliers, comme c’était le cas de Mozart.

 

Qu’est-ce qui fait qu’on apprécie la musique ou pas ? C’est le physiologique, encore, qui détermine notre sensibilité musicale ?

AW : C’est surtout l’éducation qu’on a reçue, la société et le milieu dans lequel on évolue. Selon votre éducation, vous ne ressentirez pas la même émotion selon que vous écoutez La Callas, une chanteuse de fado ou de la musique traditionnelle japonaise.

 

Nous sommes pourtant très nombreux à être sensibles aux mêmes musiques, aux mêmes voix. On le voit bien, d’ailleurs, avec la mort de David Bowie et de Prince…

AW : Parce que leurs voix correspondent à ce qu’on pourrait appeler notre « réglage de base ». Physiologique et surtout culturel.

LL : La sensibilité musicale est quelque chose qui s’acquiert. L’apprentissage commence dans l’utérus de la mère, et s’achève vers vingt ans.

 

Est-ce que le plaisir qu’on a quand on chante et celui qu’on a quand on écoute quelqu’un chanter sont les mêmes ?

AW : Ce n’est pas exactement le même mécanisme mais cela aboutit au même endroit. Grâce à l’IRM, on a pu identifier l’endroit du corps où ça « explose » quand on éprouve du plaisir en écoutant de la musique. Cet endroit, c’est le centre de la récompense, le même que lorsqu’on a un orgasme. C’est dire si c’est intense ! Cela explique qu’on ait du mal à s’en passer…

 

Propos recueillis par Barbara Lambert

 

 

A LIRE : « Les clés de la voix », Dr Ollivier Laccourreye, Dr Laurence Laccourreye, Dr Alfred Werner, Editions de Fallois/Paris, 175 p., 19 euros.

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