En filigrane des tribulations de Victor Legris, libraire rue des Saints-Pères, et de son enquête pour découvrir l’identité d’un serial-killer, Claude Izner (pseudonyme de deux sœurs) nous décrit la société de la IIIe République française. Et pas n’importe quand. Lors de l’Exposition universelle de 1889. Le président Sadi Carnot est au pouvoir. Les yeux du monde sont tournés vers Paris. Elle est devenue le centre des innovations techniques (la Tour Eiffel, électricité), scientifiques (zoopraxiscope) et artistiques (Cézanne, Gauguin, Van Gogh, le postimpressionnisme). Et même si Anatole France fait une courte apparition en début de volume, la littérature commerciale, celle qui a la faveur des lectrices, est soit des livres de gare à l’eau de rose, soit des écrits édifiants et moralisateurs d’un catholicisme grand teint. En même temps, ce sont les débuts du roman policier et sont cités Edgar Allan Poe, Emile Gaboriau, Pierre Zaccone et Anna Katharine Green. Comme s’il fallait évoquer des figures tutélaires pour placer ce premier volume de la série sous les meilleurs auspices.
Evidemment, l’absence d’implication de la police laisse à Victor Legris toute latitude pour prospecter. Mais il ne le fait, en réalité, non pour connaître la vérité, mais bien pour innocenter les personnes qui lui sont précieuses. Ce qui l’oblige à quitter à de nombreuses reprises sa librairie pour se déplacer en différents endroits de Paris. Ainsi au Parc Monceau, il rend visite à un extravagant collectionneur russe (non, non, ce n’est absolument pas Moïse de Camondo). Rue Lepic, il visite la Chapelle de Thélème. Rue Clauzel, dans sa boutique, il rencontre le père Tanguy, le marchand de couleurs. Sans parler de toute cette noblesse, toute cette grande bourgeoisie, avec des noms de famille à rallonge, éprise d’un hédonisme propre à cette fin de siècle. Et, sur le Champ de Mars, que dire des reconstitutions en toc des habitations à travers les âges ? Il y avait également un village nègre avec 400 indigènes africains pour bien souligner que la France était une puissance coloniale. Bref, bien documenté, le roman tient la route.
L’atmosphère, l’humour, les crimes, les péripéties, le personnage même de Victor Legris rappellent à notre bon souvenir certains moments des romans d’Agatha Christie ou de Ngaio Marsh. En tout cas, loin des atrocités de Mary Higgins Clark, P.D. James ou autre Marthe Grimmes.
Si cette première aventure (dans laquelle sont également présentés d’autres personnages récurrents comme le troublant Kenji Mori) vous plaît, il est à craindre que vous ne vous jetiez sur le reste de la série. Attention à l’addiction !